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Le développement durable et les vétérinaires : pourquoi et comment ?

Ecrit par Anthony Chadwick

 

Le dérèglement climatique et la profession vétérinaire : où nous situons-nous et comment agir ? 

A house sparrow on a branch

Points clés

Group 15 1

Depuis la révolution industrielle, le système économique mondial se construit autour d’un modèle linéaire qui consiste à produire, utiliser et jeter. 

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Le dérèglement climatique entraîne une crise environnementale à l’échelle mondiale.

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Proposer un modèle circulaire pour l’économie internationale valorise un plus large éventail de parties prenantes ; ce modèle disruptif peut aussi être régénérateur.

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Les cliniques vétérinaires ont un rôle à jouer dans le développement durable.

Introduction

Les médias (télévision, radio, presse écrite et réseaux sociaux) traitent largement du concept de « développement durable » mais de quoi s’agit-il exactement ? En 1987, la Commission Brundtland de l’Organisation des Nations Unies (ONU) déclarait que la durabilité consistait à « répondre aux besoins de la génération actuelle sans compromettre la capacité des générations futures à couvrir leurs propres besoins »  [1]. Pourquoi est-ce important et que pouvons-nous faire individuellement ?

Il est facile de répondre à la première question : pourquoi la durabilité est-elle importante ? Tout le monde a en effet pris conscience des effets du réchauffement climatique ; 2024 ne fut pas seulement l’année la plus chaude jamais enregistrée, ce fut aussi la première année où l’augmentation des températures mondiales a dépassé 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, une limite pourtant fixée par l’ONU lors de l’accord de Paris en 2015. Cette augmentation est en partie due à l’effet climatique El Niño, mais de nombreux scientifiques estiment que les hausses de température que nous observons sont principalement dues à l’augmentation de la concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère [2]. À l’époque préindustrielle, cette concentration était d’environ 280 parties par million (ppm), mais elle atteint environ 420 ppm aujourd’hui, soit une augmentation de 50 % en moins d’un siècle [2].

L’ONU estime que la fréquence des catastrophes climatiques a augmenté de 83 % au cours des 20 dernières années  [3]. J’écris ces lignes alors qu’une énorme tempête, baptisée Eowyn, frappe le Royaume-Uni et l’Irlande : des vents records privent d’électricité plus d’un million de personnes. Notre porte d’entrée en bois est sortie de ses gonds ! Dans son rapport Climate and Catastrophe Insight Report de 2025, une des plus importantes sociétés d’assurances (Aon) a évalué le coût des catastrophes naturelles en 2024 à 368 milliards $. Les pertes sont notamment dues aux ouragans Milton et Helene, aux violentes tempêtes et aux inondations survenues aux États-Unis et en Europe. De plus, de nombreuses personnes ne sont pas bien assurées contre ces catastrophes [4]. En parallèle, le Worldwide Fund (WWF) estime que le nombre d’animaux sauvages a chuté de 73 % au cours des 50 dernières années (Figure 1)  [5]. La date du « jour du dépassement », soit celle à laquelle nous avons épuisé les ressources générées par la planète en un an, n’a cessé de reculer depuis les années 1970. En 2024, le monde était à découvert dès le 1er août (Figure 2). La crise environnementale est installée et il faut redoubler d’efforts pour atténuer les menaces qui pèsent sur nous.

A house sparrow on a branch
Figure 1. J’ai grandi dans un quartier défavorisé de Liverpool, mais les moineaux étaient des oiseaux communs. Depuis 1966, leur population a chuté de plus de 20 millions au Royaume-Uni.
A graphic showing the evolution of Earth Overshoot Day from 1971 to 2024
Figure 2. Chaque année, « le jour du dépassement » représente le jour où la capacité annuelle de régénération de la planète est épuisée et où nous entrons effectivement dans une phase de déficit environnemental. Ce graphique montre que cette date a été considérablement avancée au cours des 50 dernières années. Ce seuil est déterminé par quatre facteurs clés : 1) la quantité de ressources que nous consommons, 2) l'efficacité avec laquelle nous fabriquons les produits, 3) la population humaine et 4) la capacité de production des écosystèmes naturels.

Que peut-on faire ?

Il est plus difficile de répondre à la seconde question : que pouvons-nous faire individuellement pour assurer la durabilité ? Dans son livre « There is no planet B », Mike Berners-Lee écrit qu’une partie du problème réside dans l’augmentation continue de la consommation énergétique mondiale chaque année. Même si les sources renouvelables sont une partie de la solution, notre désir obsessionnel de consommer toujours plus d’énergie, exacerbé par l’essor de l’intelligence artificielle (IA), implique que nous devons produire de l’énergie de manière nouvelle pour répondre aux exigences élevées des nouvelles technologies. À titre d’exemple, l’Irlande est l’un des pays qui hébergent le plus de centres de données ; l’énergie qu’ils consomment dépasse celle utilisée pour toutes les habitations irlandaises et cette consommation augmente d’année en année. Il est temps que les gouvernements, l’industrie et les entreprises prévoient de financer les réponses à ces défis car réparer les conséquences de notre inaction risque de coûter beaucoup plus cher au cours des prochaines décennies. Afin de réduire les sinistres, une autre compagnie d’assurance (Aviva) a par exemple promis 100 millions £ (117 millions €) pour restaurer les zones humides et les forêts pluviales tempérées au Royaume-Uni afin d’améliorer la biodiversité (Figure 3), pour aider à lutter contre les inondations et pour séquestrer le carbone [6].

Regarder les informations peut gravement nuire à la santé mentale car les catastrophes mondiales sont de plus en plus fréquentes. D’éminents psychiatres reconnaissent d’ailleurs aujourd’hui la « solastalgie » comme un nouveau trouble mental : il naît de l’angoisse qu’il soit trop tard pour tenter de faire quoi que ce soit afin d’améliorer l’état de la planète. Ce manque d’espoir est un facteur de risque de dépression. Passer du temps dans la nature et agir bénévolement pour sa sauvegarde aide en revanche à résoudre divers troubles psychologiques. Dans une étude récente, le UK Wildlife Trust note que l’humeur des personnes envoyées par leur médecin pour des problèmes de santé mentale s’améliorait lorsqu’elles travaillaient dans des réserves naturelles et qu’elles pouvaient même réduire ou arrêter leur traitement. Il a été démontré qu’un Euro investi dans « une prescription verte » générait près de 7 fois plus de bénéfices économiques, grâce à la réduction de l’absentéisme pour maladie et de la diminution du recours aux services médicaux [7].

A marshy area with small grassy islets and waterfowl
Figure 3.a. Lunt Meadow, une réserve du Lancashire Wildlife Trust, est gérée en partenariat avec l'Agence britannique pour l'environnement. Des terres agricoles ont été reconverties pour créer une zone humide et stocker.
Cows grazing in a field
Figure 3.b. Lorsque la tempête Christoph a frappé la région en janvier 2021, la rivière Alt est sortie de son lit et aurait pu inonder certains quartiers de Liverpool, la ville voisine. Au lieu de cela, la prairie a absorbé l'eau et a évité de dépenser environ 7 millions £ (8,2 millions €) pour compenser les dommages liés aux inondations. Cette approche holistique et circulaire permet de limiter les risques d'inondation, mais aussi d'absorber du carbone et d'accroître la biodiversité. Par exemple, les bovins Longhorn présents sur le site maintiennent l'herbe basse et le pâturage sélectif augmente la biodiversité de la prairie.

Industrie et environnement

L’industrie vétérinaire fait-elle partie du problème ou de la solution ? Dans tous les secteurs, les entreprises ont un impact sur l’environnement. L’idéologie économique néolibérale prônée par Milton Friedman a encouragé de nombreuses entreprises à privilégier l’obtention d’un profit maximum pour les actionnaires. Un document publié en 2019 et approuvé par de nombreux PDG d’entreprises de premier plan suggère pourtant que les entreprises peuvent œuvrer pour le bien commun si elles tiennent compte des parties prenantes (les clients, les employés, les fournisseurs et la planète) lorsqu’elles définissent leur stratégie et leurs objectifs (8). Nombre de ces entreprises n’ont pas agi assez rapidement en ce sens, mais ce changement d’attitude par rapport à l’approche uniquement tournée vers le profit est encourageant. L’un des co-auteurs du livre « Net positive: how courageous companies thrive by giving more than they take », Paul Polman (ancien PDG d’Unilever), suggère que les entreprises doivent s’efforcer d’apporter une contribution positive dans les domaines de l’écologie, du social et de la gouvernance, tout en s’attaquant à la crise environnementale, aux inégalités et au racisme qui peuvent ruiner le succès des entreprises et des pays. Cette approche a permis à son entreprise d’enregistrer des résultats records pendant plus d’une décennie, éclipsant les entreprises purement axées sur le profit. Patagonia, Ikea, Mars, Triodos Bank, Allianz, Levi’s et Marks and Spencer sont aussi des entreprises leaders dans leurs domaines qui sont citées en exemple par P. Polman [9]. Des études prouvent que les gens veulent aujourd’hui acheter à des entreprises qui se soucient de la société et de l’environnement.

De nombreux rapports et articles sont actuellement publiés à propos du développement durable, mais ils se limitent trop souvent aux problèmes du carbone et du climat, en passant sous silence la perte de biodiversité et l’importance de l’économie circulaire. Ces œillères peuvent mener à des projets de réduction des émissions de carbone qui nuisent à la biodiversité, par exemple en plantant des arbres non-indigènes dans des endroits inappropriés. Une approche plus holistique de la crise environnementale émergera lorsque nous adopterons le principe de circularité.

Toutes ces données montrent clairement que le monde a besoin de soins tendres et affectueux pour que les écosystèmes se stabilisent et que la pollution environnementale diminue, afin que les hommes et les animaux puissent à nouveau prospérer. Qu’en est-il de l’industrie vétérinaire ?

Une enquête réalisée en 2019 a montré que 89 % des vétérinaires souhaitent jouer un rôle actif pour promouvoir le développement durable, mais ils sont beaucoup moins nombreux à prendre des mesures concrètes pour combattre la crise environnementale.

Anthony Chadwick

Le développement durable dans le secteur vétérinaire

Depuis la révolution industrielle, le système économique mondial s’articule autour d’un modèle linéaire qui consiste à produire, utiliser et jeter. Un modèle circulaire, à la fois disruptif et régénérateur, pourrait pourtant apporter de la valeur ajoutée à un plus grand nombre de parties prenantes. Il est tentant d’attendre que les gouvernements et les grandes entreprises trouvent des solutions à ces problèmes importants, mais les particuliers et les petites entreprises, comme les cliniques vétérinaires, peuvent aussi réduire leur empreinte environnementale et œuvrer dans le sens d’un développement plus durable. Encourager l’économie circulaire au sein de la profession vétérinaire conduira à rendre notre activité plus durable.

Une enquête réalisée en 2019 auprès de vétérinaires britanniques a montré que 89 % des personnes interrogées souhaitaient jouer un rôle plus actif en matière de développement durable [10], ; seules quelques-unes agissaient cependant concrètement pour lutter contre la crise environnementale. Même si la plupart des équipes vétérinaires manquent de temps, de personnel et ne savent pas par quoi commencer, elles peuvent faire la différence dans de nombreux domaines. Les articles inclus dans ce numéro spécial de Veterinary Focus aideront les vétérinaires, les auxiliaires spécialisés vétérinaires, les techniciens en santé animale et l’ensemble de l’équipe à démarrer. Si tout le monde fait un petit effort, la somme sera importante. Ce numéro traitera donc de la réduction de la consommation d’énergie, de la durabilité de la production des aliments pour animaux de compagnie, de la gestion des produits pharmaceutiques et de la question cruciale de la réduction des déchets. Tous ces sujets relèvent de l’économie circulaire, mais ce concept est trop souvent résumé à la formule « Réduire, Réutiliser, Recycler » alors qu’il s’agit de bien plus que cela. Les trois principes clés sur lesquels il faut se concentrer sont :

  • concevoir des solutions pour éviter les déchets et la pollution,
  • maintenir les appareils en état,
  • régénérer les systèmes naturels.

Le principe des 7 R et la révision de la politique de gestion des déchets (Figure 4) aideront les équipes à travailler de manière plus durable et plus économique. La première étape consiste à repenser nos protocoles afin d’éviter les usages inutiles et la production de déchets. Les suremballages peuvent par exemple être refusés et les déchets alimentaires peuvent être compostés. Prolonger la durée de vie des appareils en les entretenant et en les réparant régulièrement (plutôt qu’en les remplaçant) peut sembler contre-culturel à une époque où l’on change fréquemment de téléphone portable. Pourtant, même les entreprises de télécommunications commencent à promouvoir des modèles plus durables qui ont moins souvent besoin d’être remplacés. Enfin, la profession vétérinaire peut apporter une réelle valeur dans le domaine de la régénération des systèmes naturels en encourageant le retour à des systèmes plus traditionnels de gestion des troupeaux, telles que les rotations de pâturages et l’élevage extensif. L’objectif est de diminuer la dépendance aux engrais et aux pesticides qui contribuent à la pollution de l’eau. L’administration responsable des produits médicamenteux réduit également le risque de résistance des agents pathogènes et de destruction des organismes bénéfiques.

A pictogram of the 7 R’s of zero waste
Figure 4. Le principe des 7 R peut inciter les cliniques à revoir leurs habitudes de gestion des déchets et à agir en conséquence.

Conclusion

Les années 2020 ont été qualifiées de « décennie décisive ». Le temps des discours est révolu, il faut agir maintenant si nous voulons inverser la tendance de la crise environnementale. Mettre en pratique certaines suggestions formulées dans ce numéro constituera un bon début pour faire en sorte que la profession vétérinaire soit considérée comme faisant partie de la solution et non du problème.

 

Références

  1. Brundtland G. (1987). Our common future. Oxford University Press.
  2. NASA. (2025). Temperatures rising: NASA confirms 2024 warmest year on record. https://www.nasa.gov/news-release/temperatures-rising-nasa-confirms-2024-warmest-year-on-record/  Accessed 15th March 2025.
  3. United Nations. “Staggering” rise in climate emergencies in last 20 years, new disaster research shows. https://news.un.org/en/story/2020/10/1075142  Accessed 2nd March 2025.
  4. Aon. Climate and catastrophe report 2025. https://www.aon.com/en/insights/reports/climate-and-catastrophe-report?collection=afba4ec7-ef9e-48e1-a5b0-7a8f9d6abfce&parentUrl=/ en/insights/articles/global-insurance-market-overview-q4-2024  Accessed 1st February 2025.
  5. World Wide Fund for Nature. 2024 Living Planet Report, p7. https://www.worldwildlife.org/publications/2024-living-planet-report Accessed 3rd March 2025.
  6. Aviva. Aviva helps restore rare native British rainforests.  https://www.aviva.com/newsroom/news-releases/2023/02/aviva-helps-restore-rare-native-british-rainforests/  Accessed 10th February 2025.
  7. Lancashire Wildlife Trust. Call for green prescribing to become widespread. https://www.lancswt.org.uk/news/call-green-prescribing-become-widespread Accessed 2nd March 2025.
  8. Gartenberg C, Serafeim G. Harvard Business Review 2019. 181 top CEOs have realised companies need a purpose beyond profit. https://hbr.org/2019/08/181-top-ceos-have-realized-companies-need-a-purpose-beyond-profit Accessed March 3rd 2025.
  9. British Veterinary Association. Vets are central to the sustainability agenda, says BVA., https://www.bva.co.uk/news-and-blog/news-article/vets-are-central-to-the-sustainability-agenda-says-bva/  Accessed 1st February 2025.
  10. Polman P, Winston A. Net positive: How courageous companies thrive by giving more than they take. Harvard Business Review Press 2002;10.

 

En savoir plus

Attenborough D. A life on our planet. London, Ebury Books, 2020.
Berners-Lee M. There is no planet B. Cambridge, Cambridge University Press, 2021.

Anthony Chadwick

Anthony Chadwick

BVSc, Cert VD, MRCVS, The Webinar Vet, Liverpool, Royaume-Uni

Royaume-Uni

Le Dr Chadwick est diplômé de l’Université de Liverpool depuis 1990 et spécialiste en dermatologie vétérinaire (il a obtenu son certificat RCVS en 1995). Il a exercé pendant 14 ans dans sa clinique vétérinaire pour animaux de compagnie, en milieu urbain, tout en assurant des consultations référées de dermatologie dans des cliniques situées dans le nord de l’Angleterre. Il est actuellement directeur général de The Webinar Vet, une société qu’il a fondée en 2010 pour proposer des ressources éducatives en ligne. Cette société est aujourd’hui le plus gros acteur européen sur le marché de la formation vétérinaire en ligne, ses contenus sont traduits dans 22 langues. 

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