Choisir le bon prix pour vos services
Ecrit par Pere Mercader
Cet article fait partie d’une série consacrée à la fixation des prix en pratique vétérinaire (rédigée en collaboration avec Antje Blaettner et Philippe Baralon). Il se penche sur la perception des prix vétérinaires : comment les clients perçoivent-ils réellement nos honoraires, par rapport à la façon dont nous pensons qu’ils les perçoivent ?
Article
Points clés
Les factures supérieures à 200 € représentent moins de 2 % des transactions dans une clinique vétérinaire classique, mais représentent 20 % du chiffre d’affaires.
Les transactions doivent être traitées différemment selon leur prix : lorsque la facture d’un client est élevée, un membre de l’équipe maîtrisant la communication client doit être en mesure d’en expliquer précisément les raisons.
De nombreux clients ne veulent pas le prix le plus bas pour leur animal : ils recherchent plutôt le meilleur service ou produit.
Les données montrent que la plupart des clients d’une clinique vétérinaire ne viennent qu’une fois par an (voire moins) et il est peu probable qu’ils se souviennent exactement du montant de leur dernière facture.
Introduction
Les aspects financiers de la gestion d’une clinique ont souvent été un problème pour la plupart des vétérinaires. Cela peut s’expliquer d’une part par le fait que nous sommes avant tout des cliniciens, et non des gestionnaires d’entreprise, d’autre part par le fait que nous sommes absorbés par les aspects émotionnels des soins aux animaux de compagnie, et enfin par le fait que nous n’avons pas les compétences qui nous permettent de savoir comment structurer nos tarifs et les expliquer aux propriétaires. Cet article propose une approche fondée sur les faits lorsqu’il s’agit de choisir le bon positionnement tarifaire de nos services et produits.
Prendre des décisions pertinentes en matière de prix a toujours été un défi pour de nombreux vétérinaires. Il y a plusieurs raisons à cela :
- Il est difficile de calculer le coût réel des services vétérinaires. La plupart des dépenses d’une clinique étant fixes (personnel, équipement, locaux), il n’est pas évident d’attribuer une partie équitable de ces coûts à un acte médical spécifique. Cela est d’autant plus vrai que nous n’avons jamais été formés à le faire à l’école vétérinaire !
- Il est difficile d’apprécier et de comprendre comment se crée la perception de la valeur par le propriétaire de l’animal. Cela conduit souvent les vétérinaires à surestimer la sensibilité des clients au prix.
- Un manque de compétences et de formation en matière de communication nous désavantage : si nous ne pouvons pas expliquer correctement à un client le raisonnement qui sous-tend nos recommandations de traitement et la valeur qu’elles apporteront à son animal, il n’est pas surprenant que certains clients rejettent ces recommandations - non pas à cause du coût réel, mais plutôt à cause du manque de valeur perçue !
- Le rôle que jouent les émotions, et en particulier les sentiments de culpabilité injustifiés qui nous assaillent dès qu’il est question d’argent. De nombreux vétérinaires se sentent mal à l’aise lorsqu’il y a une confrontation avec un client au sujet du prix d’un acte, oubliant souvent le paradoxe suivant : sous-facturer les services implique normalement de sous-payer l’équipe pour ses efforts.
En tant que vétérinaires, nous devons surmonter ces problèmes, car ils nous empêchent de développer notre activité et d’offrir les meilleurs soins possibles aux animaux. Les données peuvent jouer un rôle important dans ce contexte, en apportant de la clarté et en empêchant les biais émotionnels de brouiller notre analyse. Examinons trois études de cas fondées sur des preuves qui permettent d’envisager la « question de la tarification » sous un angle différent, en démasquant certains des mythes financiers courants qui sont malheureusement ancrés dans notre profession.
Pour un consommateur, un prix très bas peut être suspect, alors qu’un prix plus élevé peut être signe de qualité.
Étude de cas n° 1 : « Le vrai (et surprenant) montant des factures vétérinaires ».
Quel est le montant moyen payé par un propriétaire de chien ou de chat qui se rend dans une clinique vétérinaire ? Telle était la question d’une récente enquête VMS (www.estudiosveterinarios.com) qui a analysé 6,5 millions de transactions provenant d’environ 1 000 cabinets espagnols au cours de l’année 2020. La Figure 1 montre la répartition des factures en trois catégories, tandis que la Figure 2 montre comment chaque catégorie a contribué au chiffre d’affaires des cabinets concernés.
Nous pouvons dégager certains faits à partir de ces résultats :
- Un nombre étonnamment élevé de transactions (76 %) sont d’un montant relativement faible (50 € ou moins), de sorte qu’il est très peu probable qu’elles déclenchent un conflit majeur avec les propriétaires d’animaux. La plupart de ces transactions sont probablement de nature routinière, avec une faible complexité de communication, et peuvent être gérées par tout membre du personnel ayant reçu une formation appropriée.
- A l’autre extrême, les factures de 200 € ou plus représentent moins de 2 % du nombre total de transactions ; cependant, leur pertinence économique pour la clinique est importante, puisqu’elles représentent 20 % du chiffre d’affaires total. Il semble donc raisonnable d’aborder ces transactions avec plus de prudence, avec un message structuré et, idéalement, avec l’implication directe d’un vétérinaire doté de bonnes capacités de communication.
- Les proportions de ces catégories dépendent de la catégorie de structure vétérinaire concernée : par exemple, les hôpitaux auront certainement davantage de transactions supérieures à 200 euros, et leur personnel devra être mieux formé aux techniques de communication pour communiquer avec les clients, notamment pour aborder les sujets financiers.
| Conclusion : Les données montrent que 98 % des interactions avec les clients aboutissent à une facture inférieure à 200 €. Le niveau de prix peut, sans aucun doute, poser problème à certains clients ou pour certains actes, mais nous devons relativiser ce sujet. |
Étude de cas n° 2 : « Comprendre la perception du prix : pourquoi les propriétaires ne préfèrent pas forcément le moins cher ».
Comprendre comment les consommateurs évaluent les prix a toujours été un défi important pour les experts en marketing. Il est difficile d’utiliser des techniques traditionnelles telles que les enquêtes pour savoir si un certain prix est considéré comme bas, élevé ou juste, car de nombreuses personnes auront tendance à répondre à ces questions de manière « stratégique » (au lieu de dire la vérité, elles répondront d’une manière qui les avantage). L’économiste néerlandais Peter Van Westendorp est devenu célèbre pour avoir mis au point une technique connue sous le nom de Price Sensitivity Meter (PSM) qui permet de surmonter ce problème. La technique repose d’abord sur l’exposition du consommateur à une description détaillée du produit ou du service qui est évalué, par exemple :
« Vaccination pentavalente canine : il s’agit de l’administration de plusieurs vaccins à votre chien par un vétérinaire diplômé ; cela le protégera contre cinq maladies canines courantes (maladie de Carré, adénovirus, parainfluenza, parvovirus et leptospirose). Avant l’administration du vaccin, un examen clinique complet sera effectué sur votre chien afin de confirmer qu’il peut être vacciné sans risque pour sa santé. »
Une série de quatre questions est ensuite posée :
- Quel serait un prix si bas pour ce service que vous le rejetteriez parce que vous vous inquiéteriez de sa qualité ?
- Quel serait un prix suffisamment bas pour ce service que vous considéreriez comme attractif et une bonne affaire ?
- Quel serait le prix de ce service que vous considéreriez comme cher mais que vous jugeriez encore acceptable si votre perception de la qualité et de la confiance envers le vétérinaire était suffisamment bonne ?
- Quel serait le prix de ce service qui serait si élevé que vous le jugeriez ridicule, et donc que vous n’envisageriez même pas de l’accepter ?
La Figure 3 montre les résultats réels obtenus lorsque VMS a appliqué cette technique à 2 000 propriétaires espagnols en 2021. Lorsque les résultats ont été comparés aux prix réels des vaccins pratiqués par plus de 600 cabinets vétérinaires espagnols (Figure 4), il est apparu que près de 25 % de ces cabinets pratiquaient un prix que les propriétaires considéraient comme anormalement bas ! (Figure 5).
| Conclusion : Les consommateurs (c’est-à-dire les propriétaires d’animaux) ne préfèrent pas nécessairement des prix plus bas. Lorsqu’une personne a du mal à évaluer le niveau de qualité d’un service (comme souvent en médecine vétérinaire), un prix très bas peut envoyer un signal de qualité insuffisante. |
Étude de cas n° 3 : « la plupart des clients ne pensent pas autant au prix que nous ».
Les Figures 6 et 7 montrent la fréquence cumulée des visites de patients canins et félins dans les cliniques vétérinaires espagnoles à partir d’une enquête VMS 2019. En résumé, 48 % des chats et 41 % des chiens n’ont été emmenés qu’une fois par an chez leur vétérinaire. À cela s’ajoute le grand nombre d’animaux domestiques qui ont vu le vétérinaire moins d’une fois par an (estimé à 10-15 % de tous les chiens et jusqu’à 50 % de tous les chats). Avec ces chiffres en tête, croyons-nous que les clients se souviennent précisément du prix de tous nos services et qu’ils vont se plaindre forcément lorsque nous actualiserons nos tarifs du fait de l’inflation ?!
| Conclusion : Un grand pourcentage de propriétaires d’animaux de compagnie se rend si rarement chez leur vétérinaire qu’il est peu probable qu’ils se souviennent précisément du montant des honoraires payés lors de la précédente visite. |
Conclusion
Lorsqu’on étudie scientifiquement les prix des vétérinaires, des faits inattendus se révèlent qui devraient ôter toute anxiété aux vétérinaires confrontés aux problèmes de positionnement prix. Les consommateurs sont souvent moins sensibles au prix que nous le pensons, et nous devons fixer des prix « corrects » pour nos produits et nos services. En adoptant une stratégie réfléchie et proactive, tout le monde sera gagnant : l’équipe vétérinaire, nos clients et les animaux que nous soignons.
Figures 1, 2, 3, 4, 6 and 7: @ redrawn by Sandrine Fontègne
Pere Mercader
Dr Vétérinaire, MBA
Espagne
Le Dr Mercader s’est établi comme consultant en gestion auprès des cliniques vétérinaires en 2001 et a depuis développé son activité en Espagne, au Portugal et dans certains pays d’Amérique latine. Parmi ses principales réalisations, citons la rédaction d’études de rentabilité et de tarification pour des cliniques vétérinaires espagnoles, des conférences sur la gestion des cliniques dans plus de 30 pays et la rédaction du manuel « Management Solutions for Veterinary Practices », publié en espagnol, en anglais, en italien et en chinois et vendu dans le monde entier. En 2008, il a cofondé VMS, une société d’intelligence économique, qui fournit un service d’analyse comparative à plus de 800 cabinets vétérinaires espagnols. Le Dr Mercader a également été cofondateur de l’Association espagnole de gestion des cabinets vétérinaires (AGESVET) et a siégé à son conseil d’administration pendant huit ans.
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