Gestion nutritionnelle des chats insuffisants rénaux chroniques

Ecrit par Valerie J. Parker

Les chats insuffisants rénaux chroniques ne peuvent pas tous être nourris de la même façon. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte afin de donner les meilleurs conseils aux propriétaires.

Article

5 - 15 min
Toujours consulter votre vétérinaire avant de choisir un complément alimentaire.

Points clés

Group 15 1

Les chats atteints de maladie rénale chronique (MRC) développent généralement une dysorexie et perdent du poids au fur et à mesure de l’évolution de la maladie.

Group 15 2

Chez un chat atteint de MRC, l’appréciation de la composition corporelle (via le poids et la note d’état corporel) peut aider à préciser le diagnostic et le pronostic.

Group 15 3

La prise en charge nutritionnelle optimale de la MRC doit être adaptée à chaque chat en fonction du stade de la maladie et des comorbidités.

Group 15 4

La nutrition entérale peut atténuer le stress ressenti par les propriétaires et apporter un soutien nutritionnel aux chats présentant une MRC avec hyporexie.

Introduction

La prévalence de la maladie rénale chronique (MRC) dépasse 80 % chez les chats de plus de 15 ans. La prise en charge nutritionnelle fait impérativement partie du traitement de ces chats car elle a le potentiel de ralentir la progression de la maladie et également de prolonger leur espérance de vie. La stratégie nutritionnelle doit être adaptée à chaque chat, en fonction du stade Iris (International Renal Interest Society) de sa maladie et des comorbidités présentes. Cet article se concentre sur l’intérêt de la nutrition avec l’objectif d’optimiser le bien-être du chat.

Composition corporelle

La composition corporelle du chat (appréciée par son poids corporel [PC], la note d’état corporel [NEC] et l’indice de condition musculaire [ICM]) peut aider à établir un diagnostic de MRC. Il a également été montré qu’elle était corrélée à l’espérance de vie des chiens et des chats atteints de MRC. Un chat peut commencer à perdre du poids jusqu’à 3 ans avant le diagnostic de MRC et la perte de poids s’accentue souvent après le diagnostic (1). Chez les patients atteints de MRC, ceux dont le poids est inférieur à 4,2 kg au moment du diagnostic vivent moins longtemps que ceux dont le poids dépasse ce seuil (1).

La fonte musculaire observée chez les chats atteints de MRC est probablement multifactorielle : elle peut être liée à la sarcopénie (perte de muscle liée à l’âge), à la cachexie (perte musculaire affectée par des cytokines inflammatoires) et/ou à la réduction de l’apport en protéines et en acides aminés (AA), que ce soit en raison d’une gestion diététique spécifique et/ou d’une réduction de l’apport calorique. L’épuisement protéino-énergétique (EPE) est un état cachectique caractérisé par des troubles nutritionnels et métaboliques. Il est couramment identifié chez les personnes atteintes de MRC et il contribue à altérer la qualité de vie et à faire augmenter la morbidité et la mortalité (Figure 1). Il est donc impératif de maintenir un apport calorique adéquat pour stabiliser le poids, la NEC et l’ICM. Chez certains chats, la couverture du besoin énergétique au repos (BER) suffit à prévenir la perte de poids (Encadré 1) mais chez d’autres, le besoin énergétique (BE) est en revanche augmenté. Si un animal perd du poids alors qu’il consomme plus de 2 fois son BER, d’autres maladies susceptibles d’entraîner une augmentation du besoin énergétique (exemple : hyperthyroïdie), une maldigestion (exemple : insuffisance pancréatique exocrine) ou une malabsorption (exemple : maladie inflammatoire intestinale).

 

Encadré 1. Qu’est-ce que le BE (besoin énergétique) ?

Le BE (exprimé en kilocalories) représente la quantité d’énergie dont un chat a besoin chaque jour pour assurer ses fonctions vitales au repos. Le BER est un point de départ pour évaluer les besoins énergétiques quotidiens d’un chat, mais il ne prend pas en compte les autres facteurs pouvant augmenter la dépense énergétique, tels que l’activité ou la croissance. Il est proportionnel au poids métabolique, qui traduit le fait que la dépense énergétique est liée à la surface du corps : elle diminue à mesure que le poids corporel augmente. Le BER peut être calculé par l’équation suivante :
BER (kcal/jour) = 70 x (poids corporel en kg)0,75.
Changements physiologiques dans la MRC
Figure 1. Facteurs et conséquences du syndrome de malnutrition protéino-énergétique associé à la maladie rénale chronique. © Reproduit avec l’autorisation de l’Université d’État de l’Ohio

Dysorexie et nutrition entérale assistée

Une hyporexie ou une anorexie est observée chez 92 % des chats atteints de MRC (1). Pour stimuler leur appétit, il est conseillé de leur proposer une variété d’aliments secs et humides, tout en leur donnant un médicament antinauséeux, tel que le maropitant ou l’ondansétron. La biodisponibilité et l’efficacité de ces médicaments sont cependant variables selon les espèces. Les agents anti-acides ne sont généralement pas recommandés chez le chat car il développe rarement une gastropathie urémique. L’exception à cette règle est liée à la présence de saignements gastro-intestinaux, plus fréquents à un stade avancé de MRC. Les stimulants de l’appétit peuvent également être utiles : sous forme orale ou transdermique, la mirtazapine aide ainsi les chats atteints de MRC à reprendre du poids et limite les vomissements (Figure 2). 

Fournir un soutien médical pour stimuler l’appétit.
Figure 2. Les stimulants de l’appétit, tels que la mirtazapine transdermique, peuvent aider les chats atteints de MRC à reprendre du poids, réduire les vomissements et améliorer leur appétit. © Shutterstock

Lorsqu’un chat ne mange pas suffisamment pour maintenir son poids, la mise en place d’une sonde d’alimentation est une bonne option pour apporter un soutien nutritionnel par voie entérale, tout en permettant d’administrer de l’eau et des médicaments (Figure 3). Si la sonde doit rester en place jusqu’à la fin de la vie de l’animal, il est préférable d’opter pour une sonde d’œsophagostomie ou de gastrostomie. Bien entretenues, ces sondes sont utilisables pendant des mois, voire des années. Le chat sera alors nourri avec un aliment vétérinaire à objectif rénal dont la consistance est compatible avec l’administration par sonde : soit un aliment humide mélangé à de l’eau, soit un aliment liquide formulé pour la MRC (Encadré 2).

 

Encadré 2. Équation permettant de déterminer la valeur énergétique d’un aliment humide dilué. 

(kcal de la boîte + kcal de liquide ajouté) / ml de boîte + ml liquide = kcal / ml
Exemple : Mélanger 1 boîte de 145 g de Royal Canin® Renal Support E en sauce (151 kcal par boîte). Puisque 1 gramme = 1 ml, 1 boîte équivaut à 145 ml. En procédant par essais et erreurs et en ajoutant de petites quantités d’eau à la fois, s’il faut 20 ml d’eau pour obtenir la consistance adéquate pour être administré par une sonde d’œsophagostomie de 14 Fr, cela signifie :
151 kcal (1 boîte RC Renal Support E) + 0 (eau) / 145 ml (1 boîte RC Renal Support E + 20 ml (eau) = 151 kcal / 165 ml
= 0,9 kcal par ml 

NB
* Si une densité énergétique plus élevée est nécessaire, il est possible de remplacer l’eau par un aliment liquide adapté à la MRC féline. Par exemple, en utilisant Royal Canin® Veterinary Diet Feline Renal Support Liquid (0,9 kcal/ml) pour diluer l’aliment humide Royal Canin® Renal Support E, 18 kcal seraient ajoutées, et l’aliment dilué apporterait 1,0 kcal/ml. Cependant, lorsque l’ajout d’eau nécessaire est moindre pour que l’aliment humide soit administrable à la sonde, la différence est négligeable et le rapport coût-bénéfice est faible.
* La densité énergétique et la consistance des aliments changent fréquemment. La densité énergétique de l’aliment doit donc toujours être confirmée, et la quantité de liquide nécessaire pour la dilution peut varier au fil du temps, pour s’assurer qu’une consistance de bouillie reste toujours appropriée.

 

Démonstration de l’utilisation d’une sonde d’œsophagostomie (sonde E) chez un chat.
Figure 3. Une sonde d’œsophagostomie est en place chez un chat pour faciliter l’administration des aliments, de l’eau et des médicaments. © Valerie Parker

Modifications nutritionnelles

Phosphore 

L’intérêt d’un régime alimentaire spécial pour les chats atteints de MRC est prouvé : il peut allonger l’espérance de vie du chat et réduire le risque de crises d’urémie. Le premier nutriment à considérer est le phosphore car l’hyperphosphatémie raccourcit la durée de vie des chats atteints de MRC. Une étude a montré qu’à chaque fois que le phosphore sérique s’élève de 1 mg/dl (0,32 mmol/l), le risque de décès augmente de 11,8 % (2). L’augmentation de la phosphatémie stimule activement la synthèse du facteur de croissance des fibroblastes 23 (FGF-23), une phosphatonine impliquée dans le développement d’une affection squelettique complexe, connue sous le nom de MRC -mineral and bone disorder (MRC-MBD). Il a été démontré qu’une alimentation réduite en phosphore diminue le phosphate plasmatique et le FGF-23 chez les chats atteints de MRC (3). 

Depuis 2023, l’IRIS recommande de maintenir la concentration de phosphate plasmatique (ou sérique) entre 2,7 et 4,6 mg/dl (0,87 et 1,49 mmol/l) chez les chiens et les chats atteints de MRC ; bien qu’un objectif de < 5,0 mg/dl (1,62 mmol/l) pour les patients au stade 3 de la MRC et < 6,0 mg/dl (1,94 mmol/l) pour les patients au stade 4 de la MRC soit jugé plus réaliste (4). Le contrôle de la phosphatémie passe d’abord par la réduction de l’apport alimentaire en phosphore, puis en ajoutant des chélateurs de phosphate oraux avec les aliments, si nécessaire.

La santé rénale dépend de la quantité de phosphore absorbé mais aussi de la forme chimique du phosphore et du rapport calcium/phosphore (Ca/P) alimentaire. Le phosphore provenant de sources organiques (exemples : viandes, farine d’os, céréales) est moins biodisponible que le phosphore issu de sources inorganiques (exemple : phosphate de sodium ou de potassium). Il a été montré que l’administration de ces sels de phosphate hautement disponibles pouvait entraîner des lésions rénales chez des chats auparavant en bonne santé, en particulier si l’alimentation est déficitaire en calcium. Une partie de ces lésions rénales est atténuée en maintenant un rapport Ca/P supérieur à 1,0 (5).

Protéines

La question de l’intérêt et du moment adéquat pour restreindre l’apport protéique chez un chat atteint de MRC est délicate car le maintien de la masse maigre (MM) dépend de l’apport alimentaire en protéines. Le besoin en protéines a traditionnellement été déterminé sur la base de l’équilibre de la balance azotée. Mais les résultats diffèrent lorsque la stabilité de la MM sert de marqueur pour évaluer le besoin protéique. Une étude menée sur 20 chats sains a montré que 1,5 g de protéines par kg (2,1 g/kg (PC)0,75) suffisait pour maintenir l’équilibre azoté, mais que pour maintenir la MM, il fallait 5,2 g de protéines par kg (7,8 g/kg (PC)0,75) (6). Il faut également considérer que les profils en acides aminés alimentaires peuvent différer entre les régimes, même si la protéine brute est similaire. Un aliment riche en acides aminés indispensables peut faciliter le maintien de la MM. Certains aliments sont formulés de manière à apporter peu de phosphore (soit moins de 1,0-1,35 g/Mcal ; < 135 mg/100 kcal) tout en gardant un niveau protéique élevé, et cela peut être préférable pour certains chats (7). 

L’attention s’est récemment portée sur les toxines urémiques (exemples : sulfate d’indoxyle, sulfate de p-crésol) qui sont des déchets du catabolisme des acides aminés issus de la fermentation colique. Une étude a montré que la concentration en sulfate d’indoxyle était supérieure chez les chats atteints de MRC par rapport aux chats sains (8). Pour traiter cette dysbiose entre l’intestin et le rein, la stratégie   consiste à limiter l’apport excessif en protéines, augmenter l’apport en fibres fermentescibles (prébiotiques) et administrer des adsorbants intestinaux pour augmenter l’élimination fécale des toxines urémiques.

Potassium

Les causes d’une concentration sérique anormale de potassium sont nombreuses : maladie rénale sous-jacente, apport alimentaire inadéquat, déséquilibre acido-basique, complications gastro-intestinales et médicamenteuses. L’hypokaliémie peut entraîner une faiblesse musculaire, une polyurie-polydipsie ou une constipation. Les aliments diététiques à visée rénale actuels contiennent des taux très variables de potassium (1,7-5,6 g/Mcal ; 166-560 mg/100 kcal). En cas d’hypokaliémie, il peut donc être utile de proposer un aliment plus riche en potassium ou de donner un supplément (gluconate ou citrate de potassium) par voie orale.

Sodium

L’intérêt de restreindre l’apport alimentaire en sodium chez les chats atteints de MRC est controversé. Dans une étude portant sur 6 chats insuffisants rénaux, une alimentation riche en sodium (2,9 g/Mcal ; 290 mg/100 kcal) a entraîné la hausse de la créatininémie, de l’urémie et de la phosphorémie mais aucun effet n’a été observé sur la pression artérielle (9). Étant donné ces résultats, il est généralement recommandé d’éviter les aliments riches en sodium chez les chiens et les chats atteints de MRC. En revanche, d’autres études à plus grande échelle et à long terme n’ont montré aucun effet négatif des aliments riches en sodium (2,9-3,3 g/Mcal ; 290-330 mg/100 kcal) sur la fonction rénale des chats sains (10). Dans une étude menée sur des chats avec MRC induite expérimentalement, l’administration pendant une semaine d’un aliment vétérinaire à visée rénale pauvre en sodium a provoqué l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone et une kaliurèse subséquente (11). Une relation inverse entre l’hypokaliémie et l’hypertension systémique a été documentée chez le chat, et la prévalence d’un hyperaldostéronisme relatif ou absolu contribuant à ces deux phénomènes est envisagée.

L’un des principaux problèmes concernant les recommandations relatives à l’apport en sodium est l’absence de définition précise d’un niveau d’apport dit « élevé », « modéré » ou « faible ». Les aliments présentés comme « pauvres » en sodium peuvent apporter jusqu’à deux fois plus de sodium que ce qui est recommandé par l’Association of American Feed Control Officials (AAFCO) pour un chat adulte à l’entretien. Actuellement, l’auteure ne cherche pas à limiter particulièrement l’apport en sodium chez les chats atteints de MRC ; il s’agit cependant souvent d’un débat stérile car tous les aliments diététiques à visée rénale présentent des concentrations en sodium relativement similaires, soit environ 5 à 10 g/Mcal (50-100 mg/100 kcal).

De multiples compléments sont commercialisés pour les chats atteints d’insuffisance rénale et une sélection minutieuse du type, de la dose et de la marque est importante pour éviter les risques de toxicité ou d’inefficacité.

Valerie J. Parker

Acidose métabolique

L’acidose métabolique est une complication fréquente de la MRC. Chez le chat, l’acidose métabolique ne devient évidente qu’à un stade avancé de la maladie et il existe peu de données suggérant qu’elle précède l’aggravation de la fonction rénale. Il est cependant probable que le pH sanguin reste normal chez de nombreux chats atteints de MRC, au détriment de la santé osseuse : les aliments très acidifiants peuvent en effet entraîner la résorption osseuse du calcium (par exemple : libération de calcium dans la circulation). Chez les chats atteints de MRC, la qualité osseuse est affectée, probablement en raison d’une relation complexe entre l’acidose métabolique et d’autres dérèglements hormonaux observés lors de MRC-MBD (exemples : hyperparathyroïdie, augmentation du FGF-23). Les aliments diététiques à visée rénale contiennent généralement des agents alcalinisants (comme du citrate de potassium) mais, pour les animaux qui développent une acidose métabolique, une supplémentation de citrate de potassium ou de bicarbonate de sodium peut être envisagée.

Vitamine D

Des perturbations du métabolisme de la vitamine D ont été observées chez les chats atteints de MRC. Il est intéressant de noter que les chats avec une MRC précoce ou bien compensée présentent des concentrations plus élevées en métabolites de la vitamine D (25-hydroxyvitamine D ; 1,25-dihydroxyvitamine D [calcitriol] et 24-25-dihydroxyvitamine D) que les chats sains. Les concentrations de calcitriol sont en revanche plus faibles chez les chats atteints de MRC plus sévère ou en phase terminale (12,13). L’administration de calcitriol est recommandée depuis plusieurs décennies pour réduire la concentration de parathormone (PTH) et améliorer la qualité de vie des chats à MRC mais le coût, le suivi et le risque de toxicité (notamment l’hypercalcémie) de ce traitement sont parfois des facteurs limitants pour les propriétaires. Selon les dernières recommandations Iris, les données sont insuffisantes pour conseiller un traitement prophylactique avec du calcitriol chez le chat (4). Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer la manière dont la supplémentation avec différentes formes de vitamine D influence la restauration de la vitamine D, les concentrations de PTH et de FGF-23, la qualité de vie, la préservation de la fonction rénale et l’espérance de vie du chat.

Calcium

Les chats atteints de MRC peuvent présenter des troubles de l’homéostasie calcique : une hypercalcémie ionisée est rapportée chez environ 25 % des animaux atteints. Il a également été noté que les chats atteints de MRC développaient une hypercalcémie après le passage à un aliment rénal pauvre en phosphore ; le problème peut être résolu en distribuant un aliment plus riche en phosphore. Il a récemment été montré que chez des chats (n=10) à MRC et des chats présentant une hypercalcémie idiopathique, l’hypercalcémie pouvait être résolue en donnant un aliment à teneur limitée en calcium (c’est-à-dire < 2,0 g/Mcal ; < 200 mg/100 kcal) et dont le rapport Ca/P est inférieur à 1,4/1 (14). L’hypercalcémie peut aussi être traitée nutritionnellement en ajoutant des graines de chia (1 à 2 g par jour) dans l’alimentation du chat (15) ; ces graines riches en fibres, pauvres en calcium, avec un ratio Ca/P faible semblent donc influencer le métabolisme du calcium. 

Magnésium

Le magnésium a récemment fait l’objet d’une attention particulière dans le contexte de la MRC féline. Les chats avec une MRC au stade 4 de l’IRIS présentent des concentrations sériques en magnésium total plus élevées que ceux qui sont à un stade plus précoce (16). Le taux de survie des chats à MRC qui présentent une hypermagnésémie ou une hypomagnésémie est plus faible chez celui des chats dont la magnésémie est normale (16,17). La concentration sérique en calcium ionisé est corrélée négativement avec la magnésémie tandis que la phosphatémie est positivement corrélée avec la magnésémie, ce qui semble cohérent avec les effets de la MRC-MBD.

Les effets d’un aliment riche en magnésium (0,62 g/Mcal ; 62 mg/100 kcal) chez des chats à MRC ont été récemment comparés à ceux d’un aliment témoin apportant 0,13-0,18 g/Mcal (13-18 mg/100 kcal). L’étude a montré que la concentration en calcium ionisé avait tendance à diminuer chez les chats consommant l’aliment le plus riche en magnésium, tandis qu’elle avait tendance à augmenter chez les chats recevant l’aliment témoin. En outre, le taux de progression logarithmique de la concentration en FGF-23 évoluait plus lentement chez les chats recevant le régime riche en magnésium que chez les autres (18).

Distribution de suppléments d’acides gras oméga-3 

Nombreux sont les propriétaires qui souhaitent donner des suppléments alimentaires et des nutraceutiques à leurs animaux. Une enquête a montré qu’ils étaient 38 % à donner des vitamines, des minéraux ou d’autres suppléments à leurs chats atteints de MRC (Figure 4) (19). De multiples suppléments sont commercialisés pour les chats insuffisants rénaux mais le type, la dose et la marque doivent être examinés pour éviter les risques de toxicité ou d’inefficacité. Il faut donner la priorité à ceux commercialisés sous une marque connue (par exemple réputée ou testée par une société indépendante) et dont les avantages potentiels ont été prouvés par des études. Les risques (connus ou hypothétiques), notamment liés à l’interaction avec d’autres médicaments et compléments, doivent être évalués. Certains suppléments apportent des calories indésirables et les quantités de nutriments apportés peuvent être insignifiantes ou au contraire, toxiques. Un chat déteste déjà avaler des médicaments, il est inutile d’accroître son stress en lui donnant des suppléments inutiles (voire potentiellement nocifs). 

Les effets anti-inflammatoires d’une supplémentation en acides gras oméga-3 (acide eicosapentaénoïque [EPA] et acide docosahexaénoïque [DHA]) peuvent cependant être bénéfiques. Bien que la dose optimale d’EPA/DHA pour les chats insuffisants rénaux n’ait pas été déterminée, il est conseillé d’apporter jusqu’à 500-600 mg d’EPA/DHA par chat et par jour. Comme de nombreux aliments vétérinaires à visée rénale contiennent de l’EPA et du DHA, la quantité doit d’abord être rapportée à la concentration énergétique de l’aliment consommé par le chat chaque jour (en mg d’EPA/DHA pour 100 kcal). Il sera ensuite possible de décider s’il faut ou non augmenter cette quantité. 

Toujours consulter votre vétérinaire avant de choisir un complément alimentaire.
Figure 4. De nombreux propriétaires administrent des vitamines, des minéraux ou d’autres suppléments à leur chat insuffisant rénal, parfois sans consulter leur vétérinaire. Il est pourtant nécessaire d’écarter les suppléments susceptibles d’être toxiques ou inefficaces. © Shutterstock

Autres options nutritionnelles

Quand le chat ne veut pas manger (ou que le propriétaire est réticent à donner) un aliment vétérinaire à visée rénale, d’autres aliments (soit des produits diététiques indiqués pour d’autres maladies, soit des aliments du commerce) peuvent avoir un profil nutritionnel acceptable. Pour l’auteure, c’est la teneur en phosphore qui constitue le premier critère de choix : pour un chat à MRC, il faut que l’aliment contienne moins de 1,5 g de phosphore par Mcal (150 mg/100 kcal). Tous les aliments pour chats seniors ne conviennent pas aux chats à MRC et il convient d’examiner attentivement leur composition nutritionnelle. Une étude a montré que dans 31 aliments pour chats seniors, la teneur médiane en phosphore était de 3,2 (extrêmes : 1,5-4,4) g/Mcal, soit 310 (150-440) mg/100 kcal, ce qui ne différait pas significativement des aliments d’entretien pour chats adultes inclus dans l’analyse (20). 

Chats présentant des comorbidités et rations ménagères

Conseiller un régime alimentaire pour les chats présentant des comorbidités peut s’avérer délicat car chaque chat a des besoins particuliers (Figure 5). Les objectifs nutritionnels doivent être identifiés et hiérarchisés pour formuler une ration qui soit la plus bénéfique possible à la santé et à la qualité de vie du chat. Par exemple, un chat présentant à la fois une MRC et une maladie inflammatoire chronique de l’intestin devra recevoir une alimentation à teneur restreinte en phosphore, contenant un nombre limité d’ingrédients (éventuellement hydrolysés) et riche en fibres. Même lorsque des aliments appropriés sont disponibles dans le commerce, certains propriétaires préfèrent préparer une ration ménagère pour leurs animaux. Cependant, la plupart des recettes qu’ils pourront trouver en ligne ou dans des livres, y compris celles formulées pour les animaux atteints de MRC, ne garantissent pas que l’alimentation du chat sera complète et équilibrée. Lorsque le propriétaire désire opter pour la ration ménagère ou lorsqu’il est difficile de trouver un aliment préparé vraiment adapté, il est préférable de consulter un vétérinaire spécialisé en nutrition. Les propriétaires devront recevoir des instructions précises pour préparer les repas du chat, afin d’éviter tout risque de déficit ou d’excès nutritionnel ; un suivi régulier est important pour vérifier l’observance du régime. 

Les chats atteints de MRC, souffrant d’autres maladies, peuvent avoir besoin d’une ration ménagère préparée par un vétérinaire spécialiste en nutrition.
Figure 5. Un chat atteint de MRC, d’entéropathie chronique et de diabète sucré consomme une ration ménagère complète et équilibrée, formulée par un vétérinaire spécialiste en nutrition. © Valerie Parker

Conclusion

Face à un chat insuffisant rénal, il est nécessaire de bâtir un programme alimentaire sur mesure. Le besoin énergétique du chat et les nutriments à prendre en compte doivent d’abord être déterminés. Partant de cela, plusieurs options nutritionnelles pourront être choisies et proposées. Le maintien d’une consommation énergétique suffisante est une priorité pour les chats à MRC. Dans de nombreux cas, il est nécessaire de prescrire un traitement médical concomitant et la mise en place d’une alimentation assistée peut être une solution pour les chats hyporexiques.

Références

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  3. Geddes RF, Elliott J, Syme HM. The effect of feeding a renal diet on plasma fibroblast growth factor 23 concentrations in cats with stable azotemic chronic kidney disease. J. Vet. Intern. Med. 2013;27:1354-1361.
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Valerie J. Parker

Valerie J. Parker

DMV, Dipl. ACVIM (SAIM, Nutrition), Université d’État de l’Ohio (OSU), Columbus, OH, États-Unis

La Dre Parker est diplômée du collège vétérinaire de l’Université de Tufts. Elle a ensuite complété sa formation par un internat en médecine interne des animaux de compagnie à l’Animal Medical Center de New York, un résidanat à l’Université d’État de l’Iowa et un résidanat en nutrition clinique à l’Université de Tufts. Elle est actuellement enseignante-chercheuse à l’OSU ; ses recherches portent notamment sur le statut en vitamine D des chats insuffisants rénaux chroniques et sa relation avec leur prise en charge nutritionnelle.

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