Maladie rénale canine

Ecrit par Thierry Francey et Ariane Schweighauser

Il est utile de pouvoir préciser le type de maladie rénale présente chez un chien mais le plus important est d’identifier la cause primaire et de mettre en œuvre un programme thérapeutique réaliste. 

Article

5 - 15 min
Biopsie rénale provenant d’un chien atteint de leptospirose.

Points clés

Group 15 1

La maladie rénale d’un chien ne peut être correctement prise en charge que si elle est bien identifiée et caractérisée.

Group 15 2

La maladie rénale chronique résulte d’un grand nombre de facteurs génétiques, toxiques, infectieux ou inflammatoires ; son développement est progressif et irréversible.

Group 15 3

Les lésions rénales aiguës affectent l’intégrité ou la fonction du parenchyme rénal ; elles sont potentiellement réversibles si les démarches diagnostiques et thérapeutiques sont proactives.

Group 15 4

Les maladies glomérulaires forment un vaste ensemble de maladies rénales ; elles se caractérisent principalement par des anomalies de la filtration glomérulaire et une protéinurie rénale persistante.

Introduction

Le terme de « maladie rénale » englobe un large groupe d’affections congénitales ou acquises qui affectent l’intégrité ou le fonctionnement des reins (1). La défaillance partielle ou totale de l’une des multiples fonctions du rein peut gravement affecter l’état de santé général du chien et entraîner l’apparition de nombreux signes généraux aigus ou chroniques. Il est donc nécessaire de mettre en œuvre une approche diagnostique approfondie et systématique, et de réaliser des examens spécifiques pour identifier clairement la maladie sous-jacente et les conséquences du problème rénal. 

Utiliser des termes généraux tels que « atteinte rénale aiguë » (IRA) ou « maladie rénale chronique » (MRC) ne suffit pas : le diagnostic doit être précisé car c’est de lui dont dépend la stratégie thérapeutique et le pronostic pour l’animal. Ces termes mettent surtout l’accent sur la présence de signes et des besoins thérapeutiques similaires entre des affections étroitement liées. Dans le cas d’une MRC précoce, il ne faut cependant pas se contenter de traiter les signes cliniques de manière symptomatique : il est aussi important d’identifier la cause primaire pour tenter de ralentir ou d’arrêter le développement de la maladie.

Maladie rénale chronique 

La MRC est une affection irréversible au cours de laquelle les reins perdent progressivement leur capacité de fonctionnement. Les caractéristiques histologiques d’une néphrite interstitielle chronique sont assez homogènes ; elles permettent rarement d’identifier la maladie primaire à un stade avancé alors que les causes sous-jacentes (génétiques, infectieuses, toxiques, immunitaires ou dégénératives) peuvent varier. Une maladie rénale chronique peut donc être envisagée comme le résultat irréversible d’une série d’affections chroniques (1). Une MRC canine est de fait actuellement considérée comme la conséquence d’une maladie glomérulaire, au cours de laquelle le compartiment tubulo-interstitiel a été lésé par les perturbations métaboliques et la protéinurie. La MRC est malheureusement souvent diagnostiquée tardivement ; les options thérapeutiques sont alors limitées et se résument essentiellement à mettre en œuvre des mesures symptomatique ou palliatives. Lors de suspicion de MRC canine, l’approche diagnostique comporte généralement 4 étapes : 

  1. Confirmation de la maladie rénale et de sa chronicité
  2. Identification de la cause sous-jacente 
  3. Stadification et caractérisation des conséquences cliniques et métaboliques de la MRC 
  4. Évaluation des risques liés à la rapidité d’évolution de la maladie.

Le diagnostic de MRC s’appuie sur l’ensemble des informations issues de l’anamnèse, de l’examen clinique, des données clinicopathologiques et des résultats de l’imagerie. Il implique d’exclure les causes pré- et post-rénales de l’azotémie (qui peuvent cependant parfois être aussi présentes dans les cas complexes) et de vérifier que la maladie dure depuis plus de trois mois. En règle générale, le diagnostic de MRC résulte de la mise en évidence indirecte d’une baisse du débit de filtration glomérulaire se traduisant par l’augmentation de la concentration sérique des marqueurs tels que la créatinine ou la diméthylarginine symétrique (SDMA) (par exemple : azotémie persistante), d’un dysfonctionnement glomérulaire (par exemple : protéinurie rénale persistante), d’une anomalie de la fonction tubulaire (par exemples : perte de la capacité de concentration urinaire, élimination urinaire anormale de potassium, de glucose ou de bicarbonate) ou d’une altération des structures rénales (par exemples : kystes, infarctus, calculs ou tumeur). Aucun de ces marqueurs diagnostiques n’étant pathognomonique de la MRC, le diagnostic final doit toujours s’appuyer sur une synthèse globale, incluant des analyses sanguines et urinaires (1,2). 

Selon les recommandations de l’International Renal Interest Society (IRIS), les critères à privilégier pour poser un diagnostic de MRC sont l’augmentation de la concentration sérique en créatinine ou en SDMA, associée à la diminution de la densité urinaire (DU < 1,030) et à des signes de chronicité (objectivés par la persistance des modifications analytiques, des résultats de l’échographie et de la palpation). Lors de MRC débutante, la concentration urinaire peut ne pas être affectée mais la maladie sera suspectée si :

  • Les concentrations sériques en créatinine ou SDMA dépassent progressivement les seuils de référence ;
  • En l’absence de causes pré-rénales apparentes, la SDMA est constamment élevée ; 
  • L’imagerie rénale donne des résultats anormaux ou en cas de protéinurie rénale persistante (avec un ratio protéines/créatinine urinaire [RPCU] > 0,5) (2).

Une analyse d’urine doit impérativement être réalisée pour explorer une maladie rénale à un stade précoce, que ce soit pour préciser la cause ou ses conséquences. Une azotémie isolée ne suffit en effet pas pour conclure à une maladie rénale, même si elle est « confirmée » par des biomarqueurs sensibles de la MRC précoce, tels que la SDMA. L’azotémie reflète seulement une altération de la fonction rénale ou des voies urinaires. Une augmentation des concentrations sériques de créatinine ou de SDMA peut également être observée en cas d’affection pré-rénale (exemples : déshydratation ou hypovolémie), post-rénale (exemples : obstruction ou rupture des voies urinaires), ainsi qu’en cas de troubles rénaux primaires. 

L’intérêt des techniques d’imagerie disponibles (telles que l’échographie) pour faire un diagnostic précoce de MRC dépend beaucoup de l’expérience de l’imageur ; il faut en effet faire attention à ne pas surinterpréter des variations normales. L’imagerie est néanmoins toujours utile pour évaluer les reins car elle peut montrer des modifications des structures rénales importantes à prendre en compte pour le traitement (Figure 1). La présence de kystes rénaux multiples peut par exemple orienter vers une cause génétique de MRC ; une pyélectasie modérée et une dilatation urétérale évoqueront une MRC secondaire liée à la présence d’un uretère ectopique ; la présence de calculs peut signifier que la MRC est consécutive à des épisodes répétés d’uropathie obstructive.

Images échographiques des reins.
Figure 1. Images échographiques de reins malades. a. IRA due à une leptospirose : le rein est de taille normale, sa structure est bien conservée, et une petite quantité de liquide périrénal est visible (flèche blanche). b. MRC canine de stade 4 : le rein est de taille globalement inférieure à la normale pour un chien de 8 kg, sa surface est légèrement irrégulière et la limite cortico-médullaire est floue. c. Maladie glomérulaire chronique due à la leishmaniose : légère hypertrophie rénale, surface irrégulière du rein, pyélectasie modérée et épaississement visible du cortex (hyperéchogène). d. Carcinome rénal : présence d’une masse hétérogène importante avec perte complète de l’architecture normale du rein. L’examen cytologique d’un prélèvement à l’aiguille fine a confirmé le diagnostic. © Département de radiologie clinique, Vetsuisse Bern

La mise en évidence d’une MRC ne constitue pas un diagnostic suffisant. En fonction de sa gravité, il peut s’agir d’une simple découverte fortuite sans conséquences cliniques immédiates, ou d’une condamnation à mort lorsque le stade terminal de la maladie est atteint (Figures 2 et 3). Le diagnostic de MRC doit donc être précisé en évaluant sa gravité (selon le stade atteint) et en listant les complications cliniques et métaboliques pour l’animal concerné (1). Cette approche détaillée vise à permettre d’établir un pronostic et proposer un traitement individualisé. La stadification selon les critères IRIS permet généralement de faire une première évaluation de la gravité de la maladie, en se basant sur l’évolution des concentrations sériques de créatinine et de SDMA (Tableau 1). Ce système de stadification ne vise pas à faire le diagnostic de MRC, il doit être considéré comme la base d’une nomenclature standardisée qui sert initialement à orienter le traitement et le suivi. La stadification doit donc suivre la confirmation du diagnostic de MRC, une fois la fonction rénale du chien stabilisée. La protéinurie (appréciée par le RCUP) et l’hypertension systémique (mesurée par la pression artérielle systolique [PAS]) sont les principales complications associées à une progression rapide de la MRC (2) : elles servent à définir les sous-stades de la MRC. 

 

Tableau 1. Stades de la MRC canine (d’après (2)).

Stades Critères
1 Créatinine : < 125 µmol/L (< 1,4 mg/dL)
SDMA : < 18 µg/dL
2 Créatinine : 125-250 µmol/L (1,4-2,8 mg/dL)
SDMA : 18-35 µg/dL
3 Créatinine : 251-440 µmol/L (2,9-5,0 mg/dL)
SDMA : 36-54 µg/dL
4 Créatinine : > 440 µmol/L (> 5,0 mg/dL)
SDMA : > 54 µg/dL
Sous-stades liés à la protéinurie Absence de protéinurie : RCPU < 0,2
Suspicion de protéinurie : RCPU : 0,2 à 0,5
Protéinurie : RPCU > 0, 5
Sous-stades lié à l’hypertension Tension normale : PAS < 140 mm Hg
Pré-hypertension : PAS : 140-159 mm Hg
Hypertension : PAS : 160-179 mm Hg
Hypertension sévère : PAS ≥ 180 mm Hg
Abréviations : PAS : pression artérielle systolique ; RPCU : ratio protéine/créatinine urinaire ; SDMA : diméthylarginine symétrique. 
Chien présentant une langue sèche ressemblant à du cuir et une truffe sèche.
Figure 2. Chien croisé de 8 ans présentant une urémie sévère et une MRC de stade 4 ; la truffe et la langue sont sèches et la langue ressemble à du cuir. © Néphrologie des animaux de compagnie, Vetsuisse Berne
Chien présentant une mâchoire en caoutchouc.
Figure 3. Chien croisé de 2 ans présentant une MRC au stade 4, associée à de graves troubles osseux et minéraux, correspondant au syndrome « des mâchoires en caoutchouc ». © Néphrologie des animaux de compagnie, Vetsuisse Berne

Plus la maladie a atteint un stade avancé, plus ses conséquences métaboliques risquent d’être nombreuses et celles-ci doivent être évaluées au moment du diagnostic. Cette approche individualisée et systématique est particulièrement utile en cas d’hypertension car, même si le risque augmente avec la progression de la maladie, cette affection peut être présente à tous les stades de la MRC. Les complications liées à l’hypertension sont moins susceptibles d’apparaître chez un chien atteint de MRC au stade 1 mais il peut quand même perdre la vue à cause d’un décollement de rétine ; cela souligne l’importance de mesurer systématiquement la pression artérielle lors de l’évaluation des chiens suspects de MRC. Une étude récente a montré qu’il était possible de distinguer une MRC stable d’une MRC évolutive en dosant la cystatine urinaire B (3). Ce biomarqueur des lésions rénales devrait donc figurer dans les contrôles initiaux et dans le suivi des chiens atteints de MRC. Une véritable « checklist de la MRC » (Tableau 2) peut être utilisée pour répertorier les principaux problèmes à considérer chez un chien atteint de MRC, en vue de proposer un protocole thérapeutique approprié (1). 

 

Tableau 2. Checklist des signes éventuellement associés à la MRC.

Signes Évaluation
Signes d’urémie Commémoratifs et examen clinique
Troubles gastro-intestinaux Commémoratifs
Hypertension systémique Mesure de la pression artérielle
Protéinurie Ratio protéines/créatinine urinaire (RPCU)
Activité et évolution de la maladie  Évolution de la créatininémie ou de la SDMA ; cystatine B urinaire 
Statut nutritionnel Note d’état corporel, note d’état musculaire
Hydratation Examen clinique
Anémie Hématocrite
Troubles osseux et minéraux associés à la MRC  Phosphate plasmatique, FGF-23
Acidose métabolique pH sanguin, taux sérique de bicarbonates 
Déséquilibres électrolytiques Taux sériques de potassium et de sodium
Infections urinaires Sédiment urinaire et culture
Effets secondaires des médicaments Historique médical, ajustement de la posologie et interactions médicamenteuses
Abréviation : FGF-23 : facteur de croissance 23 des fibroblastes.

 

Atteinte rénale aiguë (IRA)

Une atteinte rénale aiguë (IRA) est définie comme une lésion récente du parenchyme rénal (4). En fonction de sa nature et de son étendue, elle peut affecter une, plusieurs ou toutes les fonctions rénales. Lorsque la fonction rénale n’est pas altérée de manière notable, une IRA sera aussi suspectée en présence de biomarqueurs spécifiques tels que les cylindres urinaires, la glucosurie rénale, la gamma-glutamyl-transférase (GGT) urinaire, la cystatine B urinaire ou la lipocaline associée à la gélatinase des neutrophiles (NGAL) urinaire. Différents mécanismes peuvent conduire au développement d’une IRA (Tableau 3) et, selon la présentation, il est possible de différencier une IRA d’origine environnementale d’une IRA d’origine médicale (5). Dans le premier cas (intoxication, leptospirose, etc.), les chiens présentent généralement une insuffisance rénale sévère et le diagnostic d’IRA est généralement évident (Figure 4). Dans le second cas, les signes cliniques traduisent généralement la maladie primaire (exemples : septicémie, pancréatite aiguë) et l’atteinte rénale tend à être plus discrète. 

 

Tableau 3. Principales causes d’IRA chez le chien.

Origine Exemples
Ischémie Choc hypovolémique, coup de chaleur, diarrhée aiguë, néphropathie congestive 
Intoxication Éthylène glycol, raisins frais et secs (7), champignons (Cortinarius spp.), médicaments (aminoglycosides, inhibiteurs du SRAA, AINS, agents détartrants (acide maléique)
Infection Leptospirose (8), pyélonéphrite, leishmaniose
Inflammation Glomérulonéphrite aiguë (Borrelia burgdorferi)
Affection multi-systémique Septicémie, pancréatite aiguë, péritonite septique (6), pyomètre, prostatite aiguë, pneumonie bactérienne 
Abréviations : AINS : anti-inflammatoires non-stéroïdiens ; SRAA : système rénine angiotensine aldostérone.

 

Même lorsqu’elle est secondaire, une IRA peut cependant entraîner une défaillance catastrophique et potentiellement létale de toutes les fonctions rénales et il a été montré que même une forme légère d’IRA d’origine médicale peut significativement influencer le pronostic de la maladie primaire. Dans une étude récente, 40 % des chiens opérés pour une péritonite septique présentaient par exemple une IRA lors de la présentation ou durant leur hospitalisation (6). Chez ces chiens, les chances de survie jusqu’à la fin de leur hospitalisation étaient réduites de 80 % par rapport aux autres chiens (taux de mortalité de 39 % versus 9 %). Face à des chiens atteints d’une maladie grave et présentant un risque d’IRA, la vigilance et la surveillance clinique proactive sont donc essentielles pour éviter que l’insuffisance rénale ne finisse par dominer le tableau clinique. 

Cocker spaniel présentant une IRA sévère et des nausées.
Figure 4. Cocker spaniel de 2 ans atteint d’IRA au stade 5 (due à la leptospirose) et présentant des nausées sévères. © Néphrologie des animaux de compagnie, Vetsuisse Bern

Le diagnostic d’IRA repose sur l’association des commémoratifs, des résultats des examens cliniques et de laboratoire indiquant un déclin aigu (dans les 48 heures) de la fonction rénale, et de l’augmentation des biomarqueurs de lésions rénales. Même si elle se situe dans l’intervalle de référence, une augmentation de la créatininémie de 0,3 mg/dL (26 µmol/L) doit conduire au diagnostic d’IRA. Bien qu’elle puisse être la conséquence fonctionnelle d’un problème pré-rénal initial (par exemple : déshydratation, hypovolémie) plutôt que la traduction d’une véritable lésion du parenchyme rénal, cette évolution est de toute façon préjudiciable au fonctionnement rénal et crée un risque de lésion. Un diagnostic basé sur la seule créatinine sérique ne doit pas faire oublier de pratiquer une analyse d’urine chez un chien suspect. Lorsqu’une DU élevée accompagne l’azotémie, il est nécessaire d’optimiser la thérapie liquidienne et d’agir sur le volume vasculaire (Figures 5 et 6). Même si la fonction rénale est apparemment stable, la présence de nombreux cylindres granuleux dans l’urine d’un chien gravement malade doit toujours inciter à contrôler sa fonction cardiovasculaire, l’évolution de la maladie primaire (exemple : septicémie), à envisager la possibilité de complications infectieuses ou inflammatoires secondaires (exemples : septicémie, pancréatite) ou à se questionner sur l’adéquation des médicaments administrés. Dans le cadre du diagnostic de IRA, l’imagerie sert surtout à identifier la cause primaire de la maladie et à exclure une MRC sous-jacente passée inaperçue, qui peut fortement influencer le pronostic. Comme lors de MRC, le diagnostic de l’IRA ne doit pas se limiter à identifier le problème ; il faut aussi évaluer sa gravité (Tableau 4) et inventorier les altérations métaboliques associées (voir la « checklist d’une IRA » dans le Tableau 5). Cela permet ensuite d’établir un protocole thérapeutique et un suivi individualisé. 

 

Tableau 4. Classification Iris des IRA (9).

Stades Critères
1 Créatinine : < 125 µmol/L < 1,4 mg/dL
2 Créatinine : 125-250 µmol/L 1,4-2,8 mg/dL
3 Créatinine : 251-440 µmol/L 2,9-5,0 mg/dL
4 Créatinine : > 440-880 µmol/L 5,0-10,0 mg/dL
5

Créatinine : > 880 µmol/L > 10,0 mg/dL

Sous-stades en fonction de la production urinaire 

Pas d’oligurie
Oligurie

Sous-stades en fonction de la dialyse Non traité par dialyse
Traité par dialyse

 

Tableau 5. Checklist des signes éventuellement associés à l’IRA.

Signes Évaluation
Signes d’urémie Commémoratifs et examen clinique
Troubles gastro-intestinaux Commémoratifs
Hydratation, volémie, production urinaire Examen clinique, débit urinaire, PC, POCUS
Déséquilibres électrolytiques Concentrations sériques de potassium et de sodium 
Acidose métabolique Taux de bicarbonate sérique, pH sanguin
Troubles minéraux Taux plasmatiques de calcium et de phosphate
Hypertension systémique Mesure de la pression artérielle
Statut nutritionnel Note d’état corporel, note d’état musculaire, ratio urée/créatinine 
Anémie Hématocrite
Douleur Examen clinique (sensibilité à la douleur)
Évolution de la maladie (aggravation ou amélioration) Évolution de la créatininémie et de la cystatine B urinaire, protéine C-réactive (10)
Infections urinaires Sédiment urinaire et culture
Autres Manifestations pulmonaires, coagulopathie, encéphalopathie
Effets secondaires des médicaments Historique médical : ajustement de la posologie et interactions médicamenteuses
Abréviations : PC : poids corporel ; POCUS : point-of-care ultrasound.
Chien anesthésié présentant une glossite urémique.
Figure 5. Glossite urémique chez un chien anesthésié présentant une IRA. © Néphrologie des animaux de compagnie, Vetsuisse Bern
Biopsie rénale provenant d’un chien atteint de leptospirose.
Figure 6. Biopsie rénale (grossissement x 100 ; coloration HE) chez un Labrador retriever mâle de 3 mois présentant une LRA et un syndrome de coagulation intravasculaire disséminée due à la leptospirose. Les résultats histologiques indiquent une glomérulonéphrite exsudative et hémorragique aiguë, ainsi qu’une néphrite tubulo-interstitielle et hémorragique aiguë, sévère et diffuse. L’examen PCR de la biopsie s’est révélé positif à l’ADN de leptospire. © Institut de pathologie animale, Vetsuisse Bern
En mettant l’accent sur les lésions plutôt que sur la défaillance fonctionnelle, la nouvelle nomenclature des IRA souligne l’importance du diagnostic précoce : il faut repérer la présence de lésions avant que l’insuffisance rénale ne domine le tableau clinique (4). L’étape suivante pourrait consister à se concentrer plus sur l’évolution de la maladie et des lésions. Afin de renverser le cours de la maladie et d’éviter l’aggravation des lésions rénales, la démarche diagnostique devrait être plus intensive face à une lésion rapidement évolutive qu’en présence d’une forme inactive de IRA. La mise à disposition de nouveaux biomarqueurs des lésions (comme la cystatine B urinaire ou la NGAL) pourrait donc améliorer notre capacité à explorer cet aspect de la maladie. Ce concept d’activité de la maladie pourrait toutefois brouiller la frontière entre une MRC et une IRA car, comme le suggère une étude récente, une MRC rapidement évolutive pourrait ressembler à une IRA peu active (11). 

Pour explorer une éventuelle maladie rénale, même à un stade précoce, il est indispensable de réaliser une analyse d’urine pour identifier la cause ou ses conséquences.

Thierry Francey

Évolution aiguë d’une maladie chronique

L’évolution aiguë d’une MRC déjà identifiée (« maladie rénale aiguë sur chronique ») décrit une forme particulière d’IRA dans laquelle le rein a déjà été endommagé avant l’apparition de la lésion actuelle (12). L’état exact des reins à ce moment-là est cependant rarement connu et le praticien peut hésiter entre l’hypothèse d’une IRA se développant sur un rein apparemment intact ou sur un rein ayant subi des lésions antérieures. Ces formes de néphropathie mixtes (« aiguës/chroniques ») sont assez fréquentes car les chiens atteints de MRC sont exposés à des épisodes de décompensation aiguë (aiguë sur chronique) tandis que les chiens ayant présenté une IRA n’ayant pas guéri complètement sont souvent porteurs de séquelles chroniques (chronique sur aiguë). Les chiens présentant des affections rénales mixtes, aiguës et chroniques, seront pris en charge comme indiqué ci-dessus, c’est-à-dire comme atteints de IRA pendant les phases actives et comme atteints de MRC pendant les phases stables et calmes. Cela souligne l’importance de prendre en compte l’activité de la maladie plutôt que de se concentrer uniquement sur sa durée d’évolution. 

Maladies glomérulaires

Cet ensemble hétérogène de maladies rénales se caractérise principalement par des anomalies du débit de filtration glomérulaire associées à une protéinurie rénale persistante (Tableau 6) (13). La plupart des maladies glomérulaires (MG) du chien évoluent de manière chronique, en s’accompagnant d’abord de signes liés à la protéinurie (exemples : œdème, hypertension systémique, malnutrition protéique, thrombo-embolie) avant que l’azotémie et l’urémie ne se développement lentement. Une forme plus aiguë de MG est parfois identifiée chez le chien, comme lors d’infection par Borrelia burgdorferi par exemple. 

 

Tableau 6. Principales causes de maladies glomérulaires (MG) canines (14).

Processus pathologiques Exemples
Glomérulopathie membraneuse Dépôt de complexes immuns sur la face sous-épithéliale de la membrane basale glomérulaire
Glomérulonéphrite membranoproliférative  Dépôt de complexes immuns sur les surfaces sous-endothéliales de la membrane basale glomérulaire
Glomérulonéphrite segmentaire localisée  Lésion primaire des podocytes
Amyloïdose Accumulation de protéines extracellulaires insolubles constituées de fibrilles à structure plissée β
MRC juvénile 

MRC non inflammatoire, dégénérative, se développant chez les jeunes animaux

  • Glomérulopathie collagénofibrotique (MG de type III)
  • Néphropathie du type syndrome d’Alport (MG collagénique de type IV)
MG diverses
  • Glomérulonéphrite mésangioproliférative avec complexes immuns : expansion de la matrice mésangiale secondaire à des dépôts de complexes immuns dans les zones mésangiales
  • Maladie entraînant des changements minimes : podocytopathie iatrogène (liée aux inhibiteurs de la tyrosine kinase tels que le masitinib), idiopathique ou à médiation immunitaire présumée
  • Lipidose glomérulaire : grandes cellules « spumeuses » (mésangiales ou endothéliales) dans les amas de glomérules
  • Microangiopathie thrombotique : lésion endothéliale des capillaires glomérulaires et des artérioles

 

Distinguer les maladies à médiation immunitaire de celles qui ne le sont pas est essentiel pour le suivi clinique et thérapeutique. Une origine immunitaire est identifiée chez un grand nombre de chiens présentant une MG mais la prévalence varie géographiquement (par exemple, 27 % au Royaume-Uni vs 48 % aux États-Unis) ; il est peu probable que les chiens affectés répondent de manière satisfaisante à un traitement anti-protéinurique standard si la maladie immunitaire sous-jacente n’est pas traitée (15,16). En revanche, une immunosuppression n’aura que des effets négatifs chez des chiens présentant une MG non immuno-dépendante. Actuellement, seule une biopsie rénale analysée de manière approfondie (grâce à une coloration spéciale au microscope optique, l’immunofluorescence ou la microscopie électronique) permet de différencier les deux types de MG (Figure 7). Sa réalisation est donc fortement recommandée, en particulier aux stades initiaux de la maladie (lorsque le chien est protéinurique mais pas ou peu azotémique). Étant donné qu’une MG à médiation immunitaire peut être la conséquence d’une maladie infectieuse ou parasitaire chronique, il est recommandé de procéder au dépistage des maladies prévalentes dans la zone géographique concernée. En Europe centrale, les principales infections associées à une MG canine sont la leishmaniose, la dirofilariose, la babésiose, l’ehrlichiose, l’anaplasmose et la borréliose, ainsi que des infections localisées d’origines diverses (exemples : abcès, pneumonie lobaire, prostatite ou discospondylite) (17). 

Biopsie rénale de chien montrant une glomérulofibrose sévère et une néphrite interstitielle chronique.
Figure 7. Biopsie rénale (grossissement x 100 ; coloration au trichrome de Masson : les membranes basales et la matrice collagénique extracellulaire sont bleues ; le cytoplasme est rouge) chez un chien atteint de maladie glomérulaire chronique dont la cause n’est pas identifiée. L’histologie met en évidence une glomérulofibrose sévère et une néphrite interstitielle chronique secondaire modérée. © Institut de pathologie animale, Vetsuisse Bern

La confirmation de l’origine glomérulaire des protéines urinaires peut être obtenue grâce à l’électrophorèse SDS-AGE ou SDS-PAGE des protéines urinaires, qui distingue les protéines de grande taille (d’origine glomérulaire) des protéines de petite taille (d’origine tubulaire). Cet examen ne remplace cependant pas une biopsie rénale car il ne permet pas de déterminer la cause sous-jacente ni le mécanisme pathologique (13). 

Comme lors d’IRA ou de MRC, il est important de lister les conséquences de la maladie. Il est en particulier nécessaire de rechercher une éventuelle hypertension systémique (via des mesures répétées de la pression artérielle et l’examen du fond de l’œil), d’évaluer le risque thromboembolique et ses complications (tests viscoélastiques de l’hémostase, ou thromboélastométrie), de repérer la présence d’œdèmes ou d’épanchements (examen clinique, échographie POCUS) et d’apprécier l’état nutritionnel (notes d’état corporel et musculaire, évolution du poids corporel) (18). 

Dans le cadre du diagnostic précoce de la MRC, l’intérêt des techniques d’imagerie disponibles, telles que l’échographie, dépend beaucoup de l’expérience de l’imageur ; il faut se garder de surinterpréter des variations normales.

Ariane Schweighauser

Autres maladies rénales

Bien que la plupart des maladies rénales puissent être incluses dans l’une des trois catégories décrites ci-dessus, certaines anomalies fonctionnelles initiales peuvent ne correspondre à aucune d’entre elles. C’est par exemple le cas lors de glucosurie rénale liée à une anomalie d’un transporteur tubulaire, qui n’évolue généralement pas vers une MRC azotémique, contrairement au syndrome de Fanconi où se manifestent de nombreux dysfonctionnements tubulaires et où l’azotémie se développe progressivement. D’autres défauts de transport tubulaire (lors de cystinurie par exemple) peuvent se traduire surtout par des troubles obstructifs des voies urinaires inférieures, secondairement à la formation de calculs. Certains troubles acido-basiques (comme l’acidose tubulaire rénale) entraînent des signes cliniques principalement liés aux perturbations métaboliques (par exemple : hypokaliémie, acidose métabolique) mais ils ont généralement tendance à progressivement évoluer vers la MRC. Les reins sont d’importants régulateurs de la pression artérielle et leur état doit être évalué en cas de suspicion d’hypertension systémique idiopathique. Faire la différence entre une hypertension primaire (idiopathique) et une hypertension rénale secondaire due à une MRC n’est cependant pas toujours possible lorsque la maladie est à un stade précoce et que le chien n’est pas azotémique. Des maladies rénales localisées (infarctus, tumeurs ou abcès rénaux), sans conséquences métaboliques ou fonctionnelles, peuvent être découvertes fortuitement mais chez certains chiens, elles entraînent une hématurie qui justifie des examens d’imagerie diagnostique.

Conclusion

La tendance à vouloir simplifier la nomenclature des maladies rénales en utilisant des termes généraux (tels que maladie rénale chronique, atteinte rénale aiguë ou maladie glomérulaire avec perte de protéines) ne doit pas masquer la nécessité de faire le bon diagnostic pour identifier la cause du problème et permettre ainsi de proposer une démarche thérapeutique adéquate. L’étape du diagnostic doit aussi permettre de définir le stade de la maladie et d’inventorier toutes ses complications cliniques, biologiques et métaboliques. Le traitement pourra ainsi être individualisé et être adapté aux besoins réels du chien.

Références

 

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  2. International Renal Interest Society staging of CKD 2023. https://www.iris-kidney.com/s/2_IRIS_Staging_of_CKD_2023.pdf (accessed 8th May 2025).
  3. Segev G, Vaden S, Ross S, et al. Urinary cystatin B differentiates progressive versus stable IRIS Stage 1 chronic kidney disease in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2023;37(6):2251-2260.
  4. Foster JD. Acute kidney injury. In; Ettinger SJ, Feldman EC, Cote E (eds). Ettinger’s Textbook of Veterinary Internal Medicine 9th Edition. Oxford, Elsevier. 2023;300:2073-2088.
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Thierry Francey

Thierry Francey

DMV, Dip. ACVIM (SAIM), Dip. ECVIM-CA (Médecine Interne), Département de médecine interne des animaux de compagnie, service de néphrologie, Faculté Vetsuisse de Berne, Suisse

Après avoir obtenu son doctorat en immunologie et effectué un internat en anesthésie à l’Université de Berne, le Dr Francey a complété sa formation par un résidanat en médecine interne des animaux de compagnie, puis un post-doctorat en néphrologie et hémodialyse à l’Université de Californie de Davis (UCD). Membre fondateur de l’American College of Veterinary Nephrology and Urology (ACVNU) et membre de l’Hemodialysis Academy, il enseigne actuellement la médecine interne, la néphrologie et l’urologie des animaux de compagnie à l’Université de Berne.

Ariane Schweighauser

Ariane Schweighauser

DMV, Dip. ACVIM (SAIM), Dip. ECVIM-CA (Médecine Interne), Département de médecine interne des animaux de compagnie, service de néphrologie, Faculté Vetsuisse de Berne, Suisse

Diplômée de l’Université de Berne – où elle a aussi soutenu une thèse sur la chirurgie des animaux de compagnie, la Dre Schweighauser a effectué un internat puis un résidanat en médecine interne des animaux de compagnie dans cette même université, ainsi qu’à l’Université d’État de Louisiane. Elle a effectué un post-doctorat en néphrologie et hémodialyse à l’UCD et à l’Université de Berne, où elle est actuellement chargée de cours en médecine interne, néphrologie et urologie. Elle est également l’une des fondatrices de l’ACVNU. 

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