Comorbidités lors de maladie rénale chronique
Ecrit par Pavlos G. Doulidis et Nicole Luckschander-Zeller
Diverses affections peuvent se développer en même temps que la maladie rénale chronique chez les chiens et les chats, ce qui complique le traitement et nécessite d’adopter une approche à la fois ciblée et holistique.
Article

Points clés
La MRC (maladie rénale chronique) est une affection fréquente et évolutive des chiens et des chats, et sa prise en charge peut être délicate à cause du développement d’autres affections concomitantes.
L’hypertension, la protéinurie, l’anémie, les déséquilibres électrolytiques et les infections urinaires sont des comorbidités fréquentes de la MRC, qui nécessitent un diagnostic et un traitement rapides.
Il est important de bien repérer la MRC et ses comorbidités. Une approche standardisée des animaux suspects facilite le diagnostic et le traitement médical précoces.
Des traitements efficaces peuvent aider à contrôler la progression des comorbidités chez les animaux à MRC et à améliorer leur qualité de vie.
Introduction
La maladie rénale chronique (MRC) est l’affection rénale la plus fréquente chez les chiens et les chats (1). Elle se définit par un déclin irréversible de la structure ou de la capacité fonctionnelle d’un ou des deux reins, évoluant depuis plus de trois mois (2). La MRC est couramment observée chez les chats âgés (3) (53 % des animaux atteints ont plus de 7 ans (4)). Chez les chiens, le risque de MRC augmente également de manière significative avec l’âge et elle est jusqu’à 5 fois plus fréquente chez les animaux âgés de 12 ans ou plus (5). À l’histologie, une néphrite tubulo-interstitielle chronique est classiquement diagnostiquée chez les animaux âgés atteints de MRC, tandis que les glomérulopathies concernent plus souvent des animaux jeunes (6). La MRC est une maladie évolutive : 47 % des chats montrent des signes de progression dans l’année qui suit le diagnostic (7). Polyuro-polydipsie, perte d’appétit, déshydratation, perte de poids, léthargie et vomissements sont les signes cliniques les plus courants (Figure 1) (8). Le diagnostic s’appuie sur l’anamnèse détaillée, l’examen clinique, la mesure de la pression artérielle (PA), des analyses sanguines et urinaires, ainsi qu’une échographie abdominale. La stadification doit toujours être effectuée, en se basant sur les recommandations de l’International Renal Interest Society (IRIS) (Tableau 1). Les concentrations sériques de créatinine et de diméthylarginine symétrique (SDMA) permettent d’évaluer le débit de filtration glomérulaire (DFG) de manière fiable, un critère qui est corrélé avec la progression de la maladie. Le traitement est symptomatique et palliatif. Il dépend de la gravité et du stade de la maladie mais il est basé sur l’arrêt des agents néphrotoxiques, la prise en charge de la déshydratation, de l’hypertension artérielle et de la protéinurie, ainsi que sur le traitement adéquat des autres comorbidités fréquentes.
L’hypertension et la protéinurie sont les complications les plus fréquentes de la MRC mais celle-ci peut aussi être à l’origine d’une anémie, d’une hyperparathyroïdie secondaire, de maladies cardiovasculaires, d’infections urinaires, d’hyperthyroïdie (chez les chats), de gastro-entéropathie urémique et d’hypokaliémie (surtout chez le chat). Plus la MRC progresse chez les animaux atteints, plus la prise en charge des comorbidités devient difficile. Un diagnostic et un traitement rapides sont donc essentiels.
Tableau 1. Stades de la MRC chez les chiens (CN) et les chats (CT) selon les recommandations IRISa ©.
| Stades | Créatinine (mg/dL) | SDMA (µg/dL) | RPCU | PAS (mmHg) |
|---|---|---|---|---|
| 1 | < 1,4 (CN) < 1,6 (CT) |
< 18 (CN, CT) | Pas de protéinurie : < 0,2 Suspicion de protéinurie : 0,2-0,5 (CN), 0,2-0,4 (CT) Protéinurie > 0,5 (CN), > 0,4 (CT) |
Tension normale < 140 Pré-hypertension : 140-159 Hypertension : 160-179 Hypertension sévère : ≥ 180 |
| 2 | 1,4-2,8 (CN) 1,6-2,8 (CT) |
18-35 (CN) 18-25 (CT) |
||
| 3 | 2,9-5,0 (CN, CT) | 36-54 (CN) 26-38 (CT) |
||
| 4 | > 5,0 (CN, CT) | > 54 (CN) > 38 (CT) |
||
| ahttps://www.iris-kidney.com. SDMA= diméthylarginine symétrique, RPCU= ratio protéines/créatinine urinaires ; PAS = pression artérielle systolique | ||||

Figure 1. Atrophie musculaire, déshydratation et mauvais état du pelage chez un chat atteint de MRC. © Dre Anja Strobl (Médecine interne des animaux de compagnie, Université de médecine vétérinaire de Vienne, Autriche)
Hypertension systémique
L’hypertension artérielle (HTA) systémique est une comorbidité fréquente de la MRC et découle de plusieurs mécanismes interdépendants. L’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) joue un rôle central car la diminution de la perfusion rénale entraîne une augmentation de la sécrétion de rénine, d’angiotensine II et d’aldostérone, qui stimulent la vasoconstriction et la rétention de sodium et d’eau, à l’origine de la hausse de la pression artérielle. L’altération de l’excrétion sodique provoque une surcharge liquidienne (2) et stimule le système nerveux sympathique (1), ce qui fait encore augmenter la résistance vasculaire. Le dysfonctionnement endothélial secondaire aux toxines urémiques réduit la disponibilité de l’oxyde nitrique, ce qui entraîne une inhibition de la vasodilatation (5). En outre, les perturbations du métabolisme phosphocalcique favorisent la calcification vasculaire et diminuent donc l’élasticité des vaisseaux. Enfin, l’anémie consécutive à la MRC contribue à l’HTA car le débit cardiaque augmente pour compenser l’hypoxie. Une HTA sévère peut entraîner des lésions des organes cibles (reins, cœur, cerveau, yeux) (Figure 2) et la mort de l’animal (8).

Figure 2. Hémorragie rétinienne bilatérale résultant d’une rétinopathie hypertensive chez un chat atteint de MRC au stade 3 (selon l’IRIS) et d’hypertension systémique. © Dre Juliana Giselbrecht (Ophtalmologie, Université de médecine vétérinaire de Vienne, Autriche)
Les Tableaux 1 et 2 présentent les critères d’appréciation de la pression artérielle systolique. Plusieurs mesures doivent être effectuées sur une période d’un mois pour confirmer le diagnostic d’HTA et justifier l’initiation du traitement. L’objectif est de maintenir la pression artérielle systolique en-dessous de 160 mmHg et la pression artérielle diastolique en-dessous de 100 mmHg. Le traitement s’appuie sur les inhibiteurs du SRAA tels que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA), les antagonistes des récepteurs à l’angiotensine (ARA), les inhibiteurs des canaux calciques (ICC) et la restriction alimentaire en sodium (Tableau 3) (9). Dans la plupart des cas, le traitement sera administré à vie, en faisant évoluer si nécessaire les médicaments ou la posologie afin d’éviter des lésions des organes cibles et une nouvelle diminution du DFG.
Tableau 2. Classification de l’hypertension systémique en fonction de la pression artérielle systolique et diastolique.
| Stades | Pression artérielle systolique (mmHg) | Pression artérielle diastolique (mmHg) |
|---|---|---|
| Tension normale (stade 0) | < 140 | < 95 |
| Pré-hypertension (stade 1) | 140-159 | 95-99 |
| Hypertension (stade 2) | 160-179 | 100-120 |
| Hypertension sévère (stade 3) | 180 | > 120 |
Tableau 3. Posologie des médicaments destinés à traiter l’hypertension artérielle systémique ou la protéinurie chez les animaux présentant une MRC.
| Médicaments | Posologie initiale | Ajustements posologiques |
|---|---|---|
| Bénazépril (IECA) | 0,5 mg/kg PO q24h | Augmentation de 0,5 mg/kg, au maximum 2 mg/kg/jour |
| Telmisartan (ARA) | 1 mg/kg PO q24h | Augmentation de 0,5 mg/kg, maximum 2 mg/kg/jour |
| Losartan (ARA) | 0,125 mg/kg PO q24h | 0,25 mg/kg/jour chez un chien azotémique 0,5-1 mg/kg/jour chez un chien non-azotémique |
| Amlodipine (chat) (ICC) | < 5 kg : 0,625 mg PO q24h > 5 kg : 1,25 mg PO q24h |
Le dosage peut être doublé |
| Amlodipine (chien) (ICC) | 0,1-0,3 mg/kg PO q24h | Le dosage peut augmenter de 0,75 mg/kg PO toutes les 24h |
| IECA= inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ; ARA= antagoniste du récepteur à l’angiotensine ; ICC= inhibiteur des canaux calciques | ||
Protéinurie
La protéinurie est un marqueur de la MRC car elle est corrélée à la gravité de la maladie et contribue de manière significative à sa progression (10). Elle résulte principalement des lésions glomérulaires mais des lésions tubulaires peuvent aussi favoriser la perte de protéines. Lorsque la filtration glomérulaire est altérée, des protéines (en particulier l’albumine) passent dans l’urine, tandis que les lésions tubulaires réduisent la capacité des cellules à réabsorber les protéines filtrées, ce qui aggrave la protéinurie (11). La présence d’une quantité excessive de protéines dans les tubules rénaux déclenche une inflammation, un stress oxydatif et la libération de facteurs profibrotiques qui provoquent une fibrose tubulo-interstitielle, altérant encore plus la fonction rénale. La protéinurie active également le SRAA, ce qui augmente la pression intra-glomérulaire et exacerbe la perte de protéines (12).
Il est facile de repérer la présence de protéines dans l’urine à l’aide d’une bandelette réactive mais le calcul du ratio protéines/créatinine dans l’urine (RPCU) est une méthode plus fiable et plus sensible ; elle est à privilégier car elle quantifie la protéinurie. Un RPCU normal est inférieur à 0,2 ; une protéinurie sera suspectée avec un RPCU allant de 0,2 à 0,5 chez le chien et de 0,2 à 0,4 chez le chat ; la protéinurie est avérée si le RPCU est supérieur à 0,5 chez le chien et à 0,4 chez le chat (Tableau 1). Le traitement de la protéinurie doit être entrepris quel que soit le stade de la MRC, en utilisant des IECA ou des ARA (Tableau 3). Une étude suggère la supériorité du telmisartan (ARA : 1,0 mg/kg PO q24h) sur l’énalapril (IECA : 0,5 mg/kg PO q12h) pour contrôler la protéinurie chez le chien. Un aliment à visée rénale à teneur faible à modérée en protéines et à teneur réduite en phosphore doit être prescrit aux patients atteints de MRC en complément du traitement médical.
Anémie
L’anémie secondaire à une MRC chez les chiens et les chats est une comorbidité importante qui est corrélée linéairement à la gravité de la maladie et peut augmenter la morbidité (14). Elle se développe surtout à cause de la baisse de la production d’érythropoïétine (EPO), une hormone essentielle à la synthèse des globules rouges (GR) dans la moelle osseuse. À mesure que la fonction rénale décline, la capacité de production d’EPO diminue, ce qui entraîne la chute de la synthèse des GR et une anémie non régénérative. L’accumulation des toxines urémiques nuit aussi à la capacité de la moelle osseuse à produire des GR. Ces toxines ne provoquent pas seulement une gastro-entéropathie urémique et des saignements gastro-intestinaux (GI), elles affectent également directement l’intégrité structurelle des membranes des globules rouges, les rendant plus fragiles et réduisant leur durée de vie. Enfin, l’inflammation fait augmenter les taux d’hepcidine (une hormone peptidique), ce qui inhibe l’absorption du fer alimentaire et la mobilisation du fer stocké dans le foie et les macrophages. Il en résulte une carence fonctionnelle en fer, qui devient donc indisponible pour l’érythropoïèse malgré des taux normaux ou élevés de fer total dans l’organisme (15).
Des transfusions sanguines sont nécessaires pour les animaux présentant une anémie hémodynamiquement décompensée, tandis que ceux dont l’anémie progresse lentement peuvent être traités par des agents stimulant l’érythropoïèse tels que l’érythropoïétine recombinante humaine (rHuEPO) ou la darbépoétine, qui stimulent la production de GR. Grâce à sa demi-vie plus longue et son immunogénicité plus faible, la darbépoétine (1-1,5 μg/kg SC q1 semaine) est souvent préférée et le traitement sera poursuivi jusqu’à la normalisation de l’hématocrite (25-35 % chez les chats et 37-42 % chez le chien), l’administration pourra alors être faite toutes les 2 à 4 semaines. Jusqu’à 25 % des chats et 50 % des chiens traités développent cependant des anticorps contre l’EPO administrée et l’EPO endogène. Les aliments à visée rénale enrichis en nutriments essentiels et en composants anti-inflammatoires comme les acides gras oméga-3, ainsi qu’en cobalamine et en acide folique, peuvent aider à gérer l’anémie en réduisant l’inflammation et en améliorant la disponibilité des nutriments.
Gastro-entéropathie urémique
La gastro-entéropathie urémique est une complication fréquente de la MRC. Sa physiopathologie implique plusieurs processus interdépendants, notamment l’accumulation de toxines urémiques, l’hypergastrinémie, l’ischémie des muqueuses et l’altération de leurs défenses, la réduction de la motilité digestive, la dysbiose intestinale et la coagulopathie (16). Ces phénomènes combinés entraînent des érosions et des ulcères gastro-intestinaux chez le chien (Figure 3) et une fibrose gastrique chez le chat. Ces lésions provoquent en général des vomissements, de la diarrhée, des saignements gastro-intestinaux, une anorexie et des nausées (8).

Figure 3. Lésions érosives diffuses dans l’estomac d’un chien atteint de MRC et de gastro-entéropathie urémique. © Dr Pavlos Doulidis (Médecine interne des animaux de compagnie, Université de médecine vétérinaire de Vienne, Autriche)
Le traitement repose sur la gestion nutritionnelle et la restriction des protéines afin de minimiser la production de déchets azotés, ainsi que sur un traitement symptomatique à base d’antiémétiques tels que le maropitant (1-2 mg/kg toutes les 24 h) ou l’ondansétron (0,1-0,5 mg/kg toutes les 8-12 h), des agents gastroprotecteurs tels que le sucralfate (20-40 mg/kg toutes les 8 à 12 h), des inhibiteurs de la pompe à protons tels que l’oméprazole (1 mg/kg toutes les 12 à 24 h) ou des anti-H2 tels que la ranitidine (2,5 mg/kg toutes les 12 à 24 h) ou la famotidine (0,5 à 1 mg/kg toutes les 24 h). Chez l’Homme, l’ondansétron (un antagoniste des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine) est plus efficace que le métoclopramide pour contrôler les vomissements urémiques et il constitue un excellent choix chez le chien et le chat. En cas d’anorexie, la mirtazapine (1,87 mg/chat toutes les 8 h et 3,75 à 30 mg/chien toutes les 24 h) peut être envisagée mais l’alimentation par sonde œsophagienne ou gastrique sera mise en place lors d’anorexie chronique.
L’hyperparathyroïdie rénale secondaire est une complication courante de la MRC chez les chiens et les chats. Elle joue un rôle important dans la progression de la maladie et est à l’origine de divers signes cliniques et résultats d’examens anormaux qui compliquent la prise en charge de la MRC.
Hyperparathyroïdie rénale secondaire
L’hyperparathyroïdie rénale secondaire est une autre complication courante de la MRC canine et féline. Elle joue un rôle important dans la progression de la maladie et est à l’origine de divers signes cliniques et résultats d’examens anormaux qui compliquent la prise en charge de la MRC. Elle est due à des troubles de l’excrétion du phosphore, de la production de calcitriol et de l’homéostasie calcique (1). L’hyperphosphatémie se développe parce que les reins ne peuvent plus excréter efficacement le phosphore, ce qui entraîne une réduction des taux sériques de calcium à cause de la précipitation de phosphates de calcium, stimulant encore la synthèse de parathormone (PTH). De plus, la diminution de la production de calcitriol (la forme active de la vitamine D) aggrave la baisse de la concentration en calcium et supprime l’effet inhibiteur du calcitriol sur la synthèse de la PTH (17). Les effets combinés de l’hyperphosphatémie et de la réduction du taux de calcitriol entraînent la stimulation chronique et l’hyperplasie des glandes parathyroïdes ; la PTH continue à être produite même lorsque le taux de calcium est normal ou proche de la normale. Un taux élevé de PTH affecte l’organisme, notamment en provoquant une déminéralisation importante du squelette, une affection connue sous le nom d’ostéodystrophie rénale (Figure 4) (18). L’hyperparathyroïdie chronique contribue aussi à la calcification des vaisseaux sanguins et des tissus mous, ce qui aggrave la progression de la MRC et augmente le risque de complications cardiovasculaires. Le facteur de croissance des fibroblastes 23 (FGF23) est une phosphatonine impliquée dans le métabolisme du phosphore ; chez l’Homme et chez le chat, sa concentration augmente progressivement avec la perte du DFG et avant toute augmentation du phosphore total (19). Ce biomarqueur pourrait donc être utile pour identifier les animaux à risque.

Figure 4. Radiographie d’un chien atteint de MRC et d’hyperparathyroïdie rénale secondaire montrant une déminéralisation osseuse due à une ostéodystrophie rénale. © Dre Nicole Luckschander-Zeller (Médecine interne des animaux de compagnie, Université de médecine vétérinaire de Vienne, Autriche)
Il est indispensable de limiter l’apport alimentaire en phosphore chez les animaux présentant une hyperphosphatémie ou une concentration élevée de FGF23. Grâce à leur teneur limitée en phosphore par rapport à leur concentration énergétique, les aliments à visée rénale aident à contrôler l’hyperphosphatémie et à limiter la synthèse de la PTH. Quand la restriction alimentaire seule ne suffit pas, en particulier aux stades avancés de MRC, des chélateurs de phosphate (Tableau 4) seront administrés pour réduire l’absorption intestinale du phosphore. Lorsque la MRC atteint le stade 3 ou 4, l’administration de calcitriol peut aider à normaliser la calcémie, supprimer la sécrétion de PTH et ralentir l’hyperplasie parathyroïdienne (1). Une surveillance attentive des taux de calcium et de phosphore sanguins, en se basant sur le stade IRIS, est indispensable pour éviter l’hypercalcémie ou la calcification des tissus mous (17).
Tableau 4. Options thérapeutiques pour les animaux hyperphosphatémiques.
| Chélateurs du phosphore | Posologie recommandée |
|---|---|
| Hydroxyde d’aluminium | 30-90 mg/kg/jour à fractionner |
| Carbonate de lanthanum octahydrate | 2 g/chat et 2-6 g/chien PO 1-2 fois/jour |
| Carbonate de calcium et magnésium | Chat : 1 mL pour 4 kg BID ; chien : 2 fois par jour, 1 mL pour 5 kg BID |
| Chitosane, carbonate de calcium | 1 g/5 kg/jour à fractionner |
| Hydrochloride de sevelamer | 33-54 mg/kg/jour à fractionner |
Hyperthyroïdie féline
Chez les chats âgés, l’hyperthyroïdie (HT) est une comorbidité fréquente de la MRC (20). L’interaction entre ces deux affections complique le diagnostic et la prise en charge car chacune peut influencer la progression et le traitement de l’autre. D’une part, l’HT augmente le débit et la fréquence cardiaques, ainsi que la PA ; en améliorant la perfusion rénale et donc le DFG, ces effets hémodynamiques peuvent masquer une MRC sous-jacente. D’autre part, une hypertension non contrôlée (due à la combinaison des deux affections) accélère le développement de la MRC et augmente les risques cardiovasculaires. Le traitement de l’HT peut entraîner une baisse du DFG, révélant ou exacerbant une MRC préexistante (20). Le diagnostic de l’HT s’appuie sur les commémoratifs, l’examen clinique (avec palpation de la thyroïde), les analyses sanguines (incluant le dosage de la T4) et éventuellement d’autres examens. Troubles gastro-intestinaux, polyphagie, perte de poids, déshydratation, hypertrophie thyroïdienne à la palpation, agressivité et tachycardie sont les principaux signes cliniques de HT. Un taux élevé de T4 dans le sang fera suspecter une HT, en particulier chez un chat atteint d’une maladie chronique, mais une échographie thyroïdienne ou une scintigraphie pourront confirmer le diagnostic (Figure 5). L’HT stimule le catabolisme protéique et la fonte musculaire, ce qui entraîne une réduction de la masse maigre et une baisse de la créatininémie, pouvant conduire à sous-estimer la gravité de la MRC et à se tromper sur son stade réel (20). Chez les chats présentant une amyotrophie importante, la détection précoce de la MRC sera plus fiable si elle est basée sur la mesure du SDMA, car ce marqueur est moins influencé par la masse musculaire que la créatinine.

Figure 5. Images scintigraphiques chez un chat présentant un tissu thyroïdien eutopique et intrathoracique, et une hyperthyroïdie avant traitement à l’iode radioactif. © Archives de scintigraphie – Dr Florian Zeugswetter – (Médecine interne des animaux de compagnie, Université de médecine vétérinaire de Vienne, Autriche)
Un traitement médical est indiqué pour les chats présentant à la fois une MRC et une HT. Le méthimazole (Felimazole®) peut être administré par voie orale (sous forme de comprimés ou de solution buvable) ou transdermique (gel) et permet un contrôle réversible des taux d’hormones thyroïdiennes. Le traitement définitif passe par la thérapie à l’iode radioactif, qui détruit le tissu thyroïdien hyperactif. Elle peut être recommandée dans les cas où il n’y a que peu ou pas de signes de MRC mais elle est contre-indiquée chez les chats présentant une MRC évidente, à cause du risque de dégradation rapide du DFG et d’exacerbation de la maladie rénale. L’ablation chirurgicale de la thyroïde est une option mais elle est rarement pratiquée en raison du risque de complications telles que l’hypoparathyroïdie et l’aggravation de la MRC. Des examens cliniques, des analyses sanguines, des mesures de la PA et des analyses d’urine doivent être effectuées régulièrement chez les chats atteints d’HT et de MRC, afin de bien contrôler le taux d’hormones thyroïdiennes et la fonction rénale.
Hypokaliémie
L’hypokaliémie est un trouble électrolytique fréquent chez le chat lors de MRC (20 à 30 %) (4,21), mais elle est plus rare chez le chien. Elle peut accélérer la progression de la MRC et provoquer des signes cliniques caractéristiques, qui doivent être rapidement repérés et traités. Lors de MRC, les lésions des tubules rénaux, en particulier au niveau des tubules distaux, entraînent une augmentation de l’excrétion de potassium. La perte de potassium est encore aggravée par la concentration élevée en aldostérone due à l’activation du SRAA. La perte en potassium accompagne aussi fréquemment les troubles gastro-intestinaux (vomissements, diarrhée) et l’anorexie provoque la baisse de l’apport alimentaire en potassium. En outre, les déséquilibres acidobasiques, en particulier l’alcalose métabolique, peuvent favoriser le transfert du potassium de l’espace extracellulaire vers l’espace intracellulaire, ce qui fait baisser encore plus la kaliémie. L’alcalose métabolique est un mécanisme compensatoire qui peut se développer lorsque la MRC provoque des pertes gastro-intestinales d’ions hydrogène ; elle peut aussi être consécutive à un traitement diurétique. Chez le chat, l’hypokaliémie entraîne souvent une faiblesse musculaire généralisée, avec une ventroflexion cervicale caractéristique, une léthargie et une anorexie (Figure 6) (22).

Figure 6. Chat atteint de MRC et d’une hypokaliémie sévère (2,8 mmol/L), présentant des signes de myopathie hypokaliémique avec ventroflexion caractéristique du cou. © Dre Nicole Luckschander-Zeller (Médecine interne des animaux de compagnie, Université de médecine vétérinaire de Vienne, Autriche)
Chez les animaux présentant une hypokaliémie modérée ou sévère (< 3 mmol/L) et des signes cliniques, une supplémentation parentérale en potassium par perfusion à débit constant (CRI) se justifie (23). Le débit de la perfusion ne doit pas dépasser 0,5 mEq/kg/h afin de prévenir les arythmies cardiaques. Des suppléments de potassium par voie orale sont recommandés pour prendre en charge une hypokaliémie à long terme. Le citrate de potassium ou le gluconate de potassium peuvent être utilisés sous forme liquide ou en poudre. Ils sont efficaces pour augmenter ou stabiliser la kaliémie, tout en contribuant à l’équilibre acido-basique. La teneur en potassium de la plupart des aliments à visée rénale permet d’assurer un apport suffisant par voie orale.
L’anémie est une comorbidité importante de la MRC canine ou féline ; elle est linéairement corrélée avec la gravité de la maladie et peut augmenter la morbidité. Elle est principalement due à une baisse de la production d’érythropoïétine, une hormone essentielle à la production des globules rouges dans la moelle osseuse.
Infections urinaires
Les patients atteints de MRC sont prédisposés à développer des infections urinaires en raison d’une altération de la fonction rénale et de modifications de la concentration et du pH de l’urine. Une diminution de la capacité de concentration de l’urine et une diminution des concentrations de substances bactériostatiques comme l’urée peuvent se combiner à une chute des défenses immunitaires locales pour créer un environnement propice à la croissance bactérienne. Dans certains cas, une infection du bas appareil urinaire peut rester subclinique pendant longtemps, puis gagner les reins et provoquer une pyélonéphrite qui aggrave alors la MRC. Les signes sont non-spécifiques et peuvent être confondus avec ceux d’une MRC évolutive. La présence de fièvre, la détection de sédiments actifs lors de l’analyse d’urine ou une aggravation aiguë des signes cliniques ou des modifications biologiques peuvent faire suspecter une infection urinaire, avec ou sans pyélonéphrite. Une culture bactérienne avec antibiogramme sera alors réalisée à partir d’urine prélevée par cystocentèse. Le choix de l’antibiotique et la durée du traitement seront adaptés à chaque cas, en se référant aux bonnes pratiques en matière de prescription d’antimicrobiens (24,25). Les antibiotiques à privilégier sont ceux qui diffusent bien dans l’appareil urinaire et qui ne sont pas néphrotoxiques, en se basant toujours sur l’antibiogramme (Tableau 5). Une réduction de la posologie est recommandée chez les animaux présentant une baisse du DFG.
Tableau 5. Classement des infections urinaires et recommandations thérapeutiques (d’après (24)).
| Type d’IU | Antimicrobiens recommandés en 1ère intention |
|---|---|
| Sans complication | Amoxicilline (+ acide clavulanique), triméthoprime-sulfonamide |
| Complications | Culture ; envisager l’amoxicilline (+ acide clavulanique), le triméthoprime-sulfonamide en attendant le résultat de l’antibiogramme |
| Bactériurie subclinique | Traitement antimicrobien non recommandé sauf si risque élevé d’infection ascendante (compliquée) |
| Pyélonéphrite | Culture et antibiogramme ; amoxicilline (+ acide clavulanique), fluoroquinolone en fonction de la législation nationale sur l’usage des antimicrobiens |
Conclusion
La MRC est une affection évolutive et irréversible, souvent compliquée par diverses comorbidités, notamment l’hypertension artérielle systémique, la protéinurie, l’anémie, l’hyperparathyroïdie et les infections urinaires. Chacune de ces comorbidités peut accélérer la progression de la MRC et aggraver le pronostic. Il est essentiel de détecter précocement ces comorbidités et de les prendre en charge de manière globale, en se référant aux recommandations de l’IRIS pour évaluer le stade de la MRC. Il est possible de ralentir la progression de la maladie et d’améliorer la qualité de vie de l’animal en mettant en place une surveillance de la pression artérielle et de la protéinurie, en modifiant le régime alimentaire et en administrant un traitement médical approprié.
Références
1. Polzin DJ. Chronic kidney disease in small animals. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2011;41:15-30. Doi:10.1016/j.cvsm.2010.09.004
2. Bartges JW. Chronic kidney disease in dogs and cats. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2012;42:669-692, vi. Doi:10.1016/j.cvsm.2012.04.008
3. Greene JP, Lefebvre SL, Wang M, et al. Risk factors associated with the development of chronic kidney disease in cats evaluated at primary care veterinary hospitals. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2014;244:320-327. Doi:10.2460/javma.244.3.320
4. DiBartola SP, Rutgers HC, Zack PM, et al. Clinicopathologic findings associated with chronic renal disease in cats: 74 cases (1973-1984). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1987;190:1196-1202.
5. O’Neill DG, Elliott J, Church DB, et al. Chronic kidney disease in dogs in UK veterinary practices: prevalence, risk factors, and survival. J. Vet. Intern. Med. 2013;27:814-821. Doi:10.1111/jvim.12090
6. Minkus G, Reusch C, Hörauf A, et al. Evaluation of renal biopsies in cats and dogs –histopathology in comparison with clinical data. J. Small Anim. Pract. 1994;35:465-472. Doi:10.1111/j.1748-5827.1994.tb03952.x
7. Chakrabarti S, Syme HM, Elliott J. Clinicopathological variables predicting progression of azotemia in cats with chronic kidney disease. J. Vet. Intern. Med. 2012;26:275-281. Doi:10.1111/j.1939-1676.2011.00874.x
8. Quimby JM. Chronic Kidney Disease. In; Ettinger SJ, Feldman EC, Cote E (eds). Ettinger’s Textbook of Veterinary Internal Medicine 9th ed.– eBook. Elsevier Health Sciences. 2024;ch 301;2089-2106.
9. Sparkes AH, Caney S, Chalhoub S, et al. ISFM Consensus Guidelines on the Diagnosis and Management of Feline Chronic Kidney Disease. J. Feline Med. Surg. 2016;18:219-239. doi:10.1177/1098612X16631234
10. Roura X, Elliott J, Grauer GF. Proteinuria. In; Elliott J, Grauer GF, Westropp JL (eds). BSAVA Manual of Canine and Feline Nephrology and Urology 3rd ed. Gloucester: British Small Animal Veterinary Association 2017;ch 5;50-59. Doi: 10.22233/9781910443354.5
11. Harley L, Langston C. Proteinuria in dogs and cats. Can. Vet. J. 2012;53:631-638.
12. Ljutić D, Perković D, Rumboldt Z, et al. Comparison of ondansetron with metoclopramide in the symptomatic relief of uremia-induced nausea and vomiting. Kidney Blood Press. Res. 2002;25:61-64. Doi:10.1159/000049437
13. Lourenço BN, Coleman AE, Brown SA, et al. Efficacy of telmisartan for the treatment of persistent renal proteinuria in dogs: A double-masked, randomized clinical trial. J. Vet. Intern. Med. 2020;34:2478-2496. Doi:10.1111/jvim.15958
14. Chalhoub S, Langston C, Eatroff A. Anemia of renal disease: what it is, what to do and what’s new. J. Feline Med. Surg. 2011;13:629-640. Doi:10.1016/j.jfms.2011.07.016
15. Weiss G, Goodnough LT. Anemia of chronic disease. N. Engl. J. Med. 2005;352:1011-1023. Doi:10.1056/NEJMra041809
16. Peters RM, Goldstein RE, Erb HN, et al. Histopathologic features of canine uremic gastropathy: A retrospective study. J. Vet. Intern. Med. 2005;19:315-320. Doi:10.1111/j.1939-1676.2005.tb02700.x
17. Nagode LA, Chew DJ, Podell M. Benefits of calcitriol therapy and serum phosphorus control in dogs and cats with chronic renal failure. Both are essential to prevent of suppress toxic hyperparathyroidism. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1996;26:1293-1330. Doi:10.1016/s0195-5616(96)50130-0
18. Moe S, Drüeke T, Cunningham J, et al. Definition, evaluation, and classification of renal osteodystrophy: a position statement from Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO). Kidney Int. 2006;69:1945-1953. Doi:10.1038/sj.ki.5000414
19. Finch NC, Geddes RF, Syme HM, et al. Fibroblast growth factor 23 (FGF-23) concentrations in cats with early nonazotemic chronic kidney disease (CKD) and in healthy geriatric cats. J. Vet. Intern. Med. 2013;27:227-233. Doi:10.1111/jvim.12036
20. Syme HM. Cardiovascular and renal manifestations of hyperthyroidism. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2007;37:723-743, vi. Doi:10.1016/j.cvsm.2007.05.011
21. Elliott J, Barber PJ. Feline chronic renal failure: clinical findings in 80 cases diagnosed between 1992 and 1995. J. Small Anim. Pract. 1998;39:78-85. Doi:10.1111/j.1748-5827.1998.tb03598.x
22. Dow SW, LeCouteur RA, Fettman MJ, et al. Potassium depletion in cats: hypokalemic polymyopathy. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1987;191:1563-1568.
23. DiBartola SP. Management of hypokalaemia and hyperkalaemia. J. Feline Med. Surg. 2001;3:181-183. Doi:10.1053/jfms.2001.0147
24. Weese JS, Blondeau JM, Boothe D, et al. Antimicrobial use guidelines for treatment of urinary tract disease in dogs and cats: antimicrobial guidelines working group of the international society for companion animal infectious diseases. Vet. Med. Int. 2011;2011:263768. doi:10.4061/2011/263768
Pavlos G. Doulidis
DMV, MRSVS, Université de médecine vétérinaire, Vienne, Autriche
Le Dr Doulidis est diplômé de la faculté des sciences vétérinaires de l’Université de Thessalie (Grèce) depuis 2018 et a commencé sa carrière professionnelle à l’Université de médecine vétérinaire de Vienne en 2019. Après avoir effectué un internat et un post-doctorat en médecine interne des animaux de compagnie, il a participé au programme de résidanat en médecine interne de l’ECVIM-Ca tout en travaillant sur les entéropathies inflammatoires chroniques canines dans le cadre de son doctorat. Ses principaux sujets de recherche sont la gastro-entérologie, la néphrologie et les maladies infectieuses.
Nicole Luckschander-Zeller
Professeur associé, DMV, PhD, Dip. ACVIM-CA, Dip. ECVIM-CA, Université de médecine vétérinaire, Vienne, Autriche
Nicole Luckschander-Zeller est diplômée de l’Université de médecine vétérinaire de Vienne depuis 1996. Après avoir achevé sa thèse de doctorat en médecine interne, elle a été assistante dans le département des animaux de compagnie à Vienne puis s’est inscrite au programme de résidanat en médecine interne à la faculté suisse de Berne et à l’Université d’État de Louisiane à Bâton-Rouge (LSU). Une fois diplômée de l’ACVIM et de l’ECVIM, elle a terminé un doctorat en gastroentérologie des petits animaux à la Graduate School for Cellular and Biomedical Sciences de l’Université de Berne. Elle est revenue à Vienne en 2009, où elle exerce comme professeur associé en médecine interne et a obtenu son habilitation en médecine interne en 2021. Ses recherches portent principalement sur les maladies à médiation immunitaire et elle se concentre actuellement sur la réforme de l’enseignement vétérinaire.
Autres articles de ce numéro
Partager sur les réseaux sociaux